Les aventures de M. Colin-Tampon | Page 2

Jules Girardin
dernière marche du perron; son
mouvement fut si vif, que le tendre baiser destiné à la joue de Mme
Colin-Tampon retentit sur le bout de son nez.

«Ernest, dit-elle, tu seras prudent.
--Je te l'ai promis.
--Un malheur est sitôt arrivé.
--Je ne suis plus un enfant.
--Non; mais tu es si jeune et si pétulant pour un homme de ton âge!»
Ce fut au tour de M. Colin-Tampon de sourire; i1 cambra les reins,
tendit les jarrets et se disposait à partir lorsque Mme Colin-Tampon lui
dit:
«Je ne te souhaite pas bonne chance, parce que l'on dit que cela porte
malheur; mais je suis bien sûre que tu ne reviendras pas le carnier vide.
--On ne peut pas savoir, répondit le chasseur avec une feinte modestie.
--Je suis si sûre de la justesse de ton coup d'oeil, que Jeannette
n'achètera pas de rôti pour le dîner; je compte sur toi. Vous entendez,
Jeannette?
--Oui, madame, j'entends,» répondit Jeannette avec un sérieux parfait.
Son maître était si beau dans son costume de chasse qu'il ne pouvait
manquer de faire de nombreuses victimes.
Azor, en son âme de chien, se disait: «A qui en ont-ils? Est-ce que nous
ne partirons pas aujourd'hui?»
[Illustration: Le baiser retentit sur le bout de son nez.]
Un tout petit oiseau, perché sur une branche à quelques pas de là,
chantait à plein gosier; si près de Paris, les petits oiseaux eux-mêmes
deviennent sceptiques et moqueurs comme des gamins de Paris.
Celui-là savait que l'habit ne fait pas le chasseur, et l'apparence martiale
de M. Colin-Tampon l'égayait au lieu de lui inspirer de l'effroi. Si M.
Colin-Tampon eût été plus au courant des usages, des moeurs et des
superstitions de l'antiquité, il aurait tiré un fâcheux présage du chant
moqueur de ce petit oiseau.
Mais M. Colin-Tampon n'était point au courant des usages, des moeurs
et des superstitions de l'antiquité. Il y avait à cela d'excellentes raisons
M. Colin-Tampon n'avait point fait d'études classiques. Le peu qu'il
savait, il l'avait appris dans le Moniteur de la Mercerie, qui se soucie,
comme d'une guigne, de l'antiquité et de ses superstitions.

III
M. Colin-Tampon, le coeur plein d'orgueil et de joie, n'eut pas plus tôt
fait claquer la grille derrière lui, qu'il éprouva le besoin de sauter, de

danser, ou tout au moins de crier, pour se prouver à lui-même combien
il était heureux et fier de s'en aller à travers champs, loin des hommes
et de la civilisation, courir les aventures sous le clair soleil et le ciel
bleu.
Pendant deux cents mètres néanmoins, il dut mettre un frein aux
sentiments tumultueux qui bouillonnaient dans son sein. Car, pour
gagner la pleine campagne, il lui fallait suivre entre deux murs une
ruelle qui rappelait la civilisation par ses côtés les moins flatteurs. Les
murs étaient tapissés d'affiches de théâtre et d'annonces de marchands;
çà et la, parmi des tessons de bouteilles cassées, se dressaient des
herbes malades et malsaines, s'épanouissaient des touffes d'orties
menaçantes; de vieux souliers se décomposaient lentement, couverts
d'une mousse verdâtre. Azor filait devant, impatient de quitter ces lieux
peu champêtres. Son maître le suivait d'un pas accéléré, attendant la fin
de la ruelle pour donner un libre cours à son enthousiasme. En
attendant, il frappait le sol en cadence, serrait son fusil contre sa
poitrine et se disait que l'homme, l'homme armé du fusil, était bien
réellement le roi de la création. Il se sentait de taille à affronter les
animaux les plus terribles et à leur faire mordre la poussière.
Au bout de la ruelle commençait un sentier qui serpentait à travers
champs. À gauche, un champ de betteraves s'étalait dans toute sa
platitude et sa monotonie; à droite s'élevait un maigre bosquet d'acacias
rachitiques. M. Colin-Tampon dirigea ses pas vers le bosquet.
«Salut à la nature!» s'écria l'inventeur du _bouton inamovible_; et, pour
saluer la nature, il ôta son chapeau. Les papillons et les libellules
voltigeaient autour de lui, contemplant d'un oeil surpris ce mortel
étrange dont les rares cheveux se dressaient d'enthousiasme. Deux
petits oiseaux se communiquaient leurs remarques; une chenille velue
s'était laissée choir sur son bras, fascinée par l'éclat de ses lunettes. Un
limaçon philosophe se demandait pourquoi les hommes adressaient de
si pompeux saluts à la nature, car il avait déjà entendu un épicier
pousser la même exclamation; et par parenthèse, cela n'avait rien de
bien étonnant, puisque l'épicier et le conseiller municipal avaient
emprunté cette phrase toute faite au feuilleton du même journal, auquel
ils étaient abonnés tous les deux.
[Illustration: Salut à la nature!]
Au bruit des souliers ferrés, les grenouilles rentraient dans leurs

marécages. Azor, affolé, prenait des poses de lévrier héraldique, tandis
que dans le lointain deux lapins, rassurés par la tournure de notre héros,
continuaient, sans se déranger, une conversation commencée.

IV
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