Les amours jaunes | Page 8

Tristan Corbière
trous,-- Lui, seul hibou
payant, comme son bail le porte: Pour vingt-cinq écus l'an,
dont: remettre une porte
.--
Pour les gens du pays, il ne les voyait pas:
Seulement, en passant, eux
regardaient d'en bas,
Se montrant du nez sa fenêtre;
Le curé se doutait que c'était un
lépreux;
Et le maire disait:--Moi, qu'est-ce que j'y peux,
C'est plutôt un Anglais ... un Etre.
Les femmes avaient su--sans doute par les buses,
Qu'il vivait en
concubinage avec des Muses!
...
Un hérétique enfin.... Quelque
Parisien
De Paris ou d'ailleurs.--Hélas! on n'en sait rien.--
Il
était invisible; et, comme ses Donzelles
Ne s'affichaient pas
trop
, on ne parla plus d'elles.
--Lui, c'était simplement un long flâneur, sec, pâle;
Un
ermite-amateur, chassé par la rafale....
Il avait trop aimé les beaux
pays malsains
Condamné des huissiers, comme des médecins,
Il
avait posé là, seul et cherchant sa place
Pour mourir seul ou pour
vivre par contumace....

Faisant, d'un à-peu-près d'artiste,
Un philosophe d'à peu près,
Râleur de soleil ou de frais,
En dehors de l'humaine piste.
Il lui restait encore un hamac, une vielle,
Un barbet qui dormait sous
le nom de Fidèle;
Non moins fidèle était, triste et doux
comme lui,
Un autre compagnon qui s'appelait l'Ennui.
Se mourant en sommeil, il se vivait en rêve.
Son rêve était le flot qui
montait sur la grève,
Le flot qui descendait;
Quelquefois, vaguement, il se prenait
attendre....
Attendre quoi ... le flot monter--le flot descendre--
Ou l'Absente.... Qui sait?
Le sait-il bien lui-même?... Au vent de sa guérite,
A-t-il donc oublié
comme les morts vont vite,
Lui, ce viveur vécu, revenant égaré,

Cherche-t-il son follet, à lui, mal enterré?
--Certe, Elle n'est pas loin, celle après qui tu brames, O Cerf de
Saint-Hubert! Mais ton front est sans flammes.... N'apparais pas, mon
vieux, triste et faux déterré....
Fais le mort si tu peux.... Car Elle t'a
pleuré!
--Est-ce qu'il pouvait, Lui!... n'était-il pas poète.... Immortel comme un
autre?... Et dans sa pauvre tête
Déménagée, encor il sentait que les
vers
Hexamètres faisaient les cent pas de travers.
--Manque de savoir-vivre extrême--il survivait--
Et--manque de
savoir-mourir--il écrivait:
«C'est un être passé de cent lunes, ma Chère,
En ton coeur poétique, à
l'état légendaire.
Je rime, donc je vis ... ne crains pas, c'est à
blanc
. --Une coquille d'huître en rupture de banc!--
Oui, j'ai beau
me palper: c'est moi!--Dernière faute--
En route pour les cieux--car

ma niche est si haute!--
Je me suis demandé, prêt à prendre l'essor:

Tête ou pile ...--Et voilà--je me demande encor....»
«C'est à toi que je fis mes adieux à la vie,
A toi qui me pleuras,
jusqu'à me faire envie
De rester me pleurer avec toi. Maintenant

C'est joué, je ne suis qu'un gâteux revenant,
En os et ... (j'allais dire
en chair).--La chose est sûre C'est bien moi, je suis là--mais comme une
rature.»
«Nous étions amateurs de curiosité:
Viens voir le
Bibelot
.--Moi j'en suis dégoûté.-- Dans mes dégoûts surtout, j'ai
des goûts élégants;
Tu sais: j'avais lâché la Vie avec des gants;

L'Autre n'est pas même à prendre avec des pincettes ... Je
cherche au mannequin de nouvelles toilettes.»
«Reviens m'aider: Tes yeux dans ces yeux-là! Ta lèvre
Sur cette
lèvre!... Et, là, ne sens-tu pas ma fièvre
--Ma fièvre de
Toi?
...--Sous l'orbe est-il passé L'arc-en-ciel au charbon par nos
nuits laissé?
Et cette étoile?...--Oh! va, ne cherche plus l'étoile
Que tu voulais voir à mon front;
Une araignée a fait sa toile,
Au même endroit--dans le plafond.»
«Je suis un étranger.--Cela vaut mieux peut-être....
--Eh bien! non,
viens encor un peu me reconnaître;
Comme au bon saint Thomas, je
veux te voir la foi,
Je veux te voir toucher la plaie et dire:--Toi!»--
«Viens encor me finir--c'est très gai: De ta chambre,
Tu verras mes
moissons--Nous sommes en décembre--
Mes grands bois de sapin, les
fleurs d'or des genêts,
Mes bruyères d'Armor ...--en tas sur les chenets.

Viens te gorger d'air pur--Ici j'ai de la brise
Si franche!... que le
bout de ma toiture en frise.
Le soleil est si doux ...--qu'il gèle tout le
temps.
Le printemps....--Le printemps n'est-ce pas tes vingt ans. On
n'attend plus que toi, vois: déjà l'hirondelle
Se pose ... en fer rouillé,
clouée à ma tourelle.--
Et bientôt nous pourrons cueillir le

champignon....
Dans mon escalier que dore ... un lumignon.
Dans le
mur qui verdoie existe une pervenche
Sèche.--... Et puis nous irons à
l'eau faire la planche --Planches d'épave au sec--comme
moi--sur ces plages.
La Mer roucoule sa Berceuse pour
naufrages
;
Barcarolle du soir ... pour
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 36
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.