Les affinites electives | Page 5

Johann Wolfgang Goethe
germe de perfectionnement intellectuel dans une creature si bonne et si jolie. Cette erreur ne m'etonne point, car je retrouve dans Ottilie l'image vivante de sa mere, ma meilleure amie, qui a grandi a mes cotes. Je suis persuadee que sa fille serait bientot une femme accomplie, s'il m'etait possible de l'avoir sous ma direction.
Nos conventions ne me le permettent pas, et je sais qu'il est dangereux de tirailler sans cesse le cadre dans lequel on a cru devoir enfermer sa vie. Je me soumets a cette necessite; je fais plus: je souffre que ma fille, trop fiere de ses avantages sur une parente qui doit tout a ma bienfaisance, en abuse parfois. Helas! qui de nous a reellement assez de superiorite pour ne jamais la faire peser sur personne? et qui de nous est place assez haut pour ne jamais etre reduit a se courber sous une domination injuste? Le malheur d'Ottilie la rend plus chere a mes yeux; ne pouvant l'appeler pres de moi, je cherche a la placer dans une autre institution. Voila ou j'en suis. Tu vois, mon bien-aime, que nous nous trouvons dans le meme embarras; supportons-le avec courage, puisque nous ne pourrions sans danger le faire disparaitre l'un par l'autre.
--Je reconnais bien la les bizarreries de la nature humaine, dit Edouard en souriant, nous croyons avoir fait merveille, quand nous sommes, parvenus a ecarter les objets de nos inquietudes. Dans les considerations d'ensemble, nous sommes capables de grands sacrifices; mais une abnegation dans les details de chaque instant, est presque toujours au-dessus de nos forces: ma mere m'a fourni le premier exemple de cette verite. Tant que j'ai vecu pres d'elle, il lui a ete impossible de maitriser les craintes de chaque instant dont j'etais l'objet. Si je rentrais une heure plus tard que je ne l'avais promis, elle s'imaginait qu'il m'etait arrive quelque grand malheur; et quand la pluie ou la rosee avait mouille mes vetements, elle prevoyait pour moi une longue suite de maladies. Je me suis etabli chez moi, j'ai voyage, et elle a toujours ete aussi tranquille sur mon compte que si je ne lui avais jamais appartenu.
--Examinons notre position de plus pres, continua-t-il, et nous reconnaitrons, bientot qu'il serait aussi insense qu'injuste de laisser, sans autre motif que celui de ne pas deranger nos petits calculs personnels, deux etres qui nous regardent de si pres, sous l'empire d'un malheur qu'ils n'ont pas merite. Oui, ce serait la de l'egoisme, ou je ne sais plus de quel nom il faudrait qualifier cette conduite. Fais venir ton Ottilie, souffre que mon Capitaine s'installe ici, et remettons-nous a la garde de Dieu pour ce qui pourra en resulter.
--S'il ne s'agissait que de nous, dit Charlotte, j'hesiterais moins; mais songe que le Capitaine est a peu pres de ton age, c'est-a-dire a cet age (il faut bien que je te dise cette flatterie en face) ou les hommes commencent a devenir reellement dignes d'un amour constant et vrai. Est-il prudent de le mettre en contact avec une jeune fille aussi aimable, aussi interessante qu'Ottilie?
--En verite, repondit le Baron, l'opinion que tu as de ta niece me paraitrait inexplicable, si je n'y voyais pas le reflet de ta vive tendresse pour sa mere. Elle est gentille, j'en conviens, je me rappelle meme que le Capitaine me la fit remarquer, lorsque je la vis chez ta tante, il y a un an environ. Ses yeux, surtout, sont fort bien, et cependant ils ne m'ont nullement impressionne.
--Cela est tres-flatteur pour moi, car j'etais presente. Ton amour pour ta premiere amie t'avait rendu insensible aux charmes naissants d'une enfant; je sens le prix de tant de constance, aussi ne voudrais-je jamais vivre que pour toi.
Charlotte etait sincere, et cependant elle cachait a son mari qu'alors elle avait eu l'intention de lui faire epouser Ottilie, et qu'a cet effet elle avait prie le Capitaine de la lui faire remarquer, car elle n'osait se flatter qu'il fut reste fidele a l'amour qui les avait unis jadis. De son cote le Baron etait tout entier sous l'empire du bonheur que lui causait la disparition inattendue du double obstacle qui l'avait separe de Charlotte, et il ne songeait qu'a former enfin un lien qu'il avait pendant si longtemps vainement desire.
Les epoux allaient retourner au chateau par les plantations nouvelles, lorsqu'un domestique accourut au-devant d'eux et leur cria en riant:
--Revenez bien vite, Monseigneur; M. Mittler vient d'entrer au galop dans la cour du chateau. Sans se donner le temps de mettre pied a terre, il nous a tous rassembles par ses cris: Allez! courez! nous a-t-il dit, appelez votre maitre et votre maitresse, demandez-leur s'il y a vraiment peril dans la demeure, entendez-vous, s'il y a peril dans la demeure? Vite, vite, courez!
--Le drole d'homme, dit Edouard, il me semble pourtant qu'il
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