Les Quarante-cinq, vol 2 | Page 2

Alexandre Dumas, père
jusqu'aux portes de son h?tel.
En vain Mayneville écartait les plus zélés en leur disant:
-- Pas tant de feu, mes amis, pas tant de feu; vrai Dieu! vous allez nous compromettre.
Le duc n'en avait pas moins une escorte de deux ou trois cents hommes lorsqu'il arriva à l'h?tel Saint-Denis où il avait élu domicile.
Ce fut une grande facilité donnée à Ernauton de suivre le duc, sans être remarqué.
Au moment où le duc rentrait et où il se retournait pour saluer, dans un des gentilshommes qui saluaient en même temps que lui, il crut reconna?tre le cavalier qui accompagnait ou qu'accompagnait le page qu'il avait fait entrer par la porte Saint-Antoine, et qui avait montré une si étrange curiosité à l'endroit du supplice de Salcède.
Presque au même instant, et comme Mayenne venait de dispara?tre, une litière fendit la foule. Mayneville alla au devant d'elle: un des rideaux s'écarta, et, grace à un rayon de lune, Ernauton crut reconna?tre et son page et la dame de la porte Saint-Antoine.
Mayneville et la dame échangèrent quelques mots, la litière disparut sous le porche de l'h?tel; Mayneville suivit la litière, et la porte se referma. Un instant après, Mayneville parut sur le balcon, remercia au nom du duc les Parisiens, et, comme il se faisait tard, il les invita à rentrer chez eux, afin que la malveillance ne p?t tirer aucun parti de leur rassemblement.
Tout le monde s'éloigna sur cette invitation, à l'exception de dix hommes qui étaient entrés à la suite du duc.
Ernauton s'éloigna comme les autres, ou plut?t, tandis que les autres s'éloignaient, fit semblant de s'éloigner.
Les dix élus qui étaient restés, à l'exclusion de tous autres, étaient les députés de la Ligue, envoyés à M. de Mayenne pour le remercier d'être venu, mais en même temps pour le conjurer de décider son frère à venir.
En effet, ces dignes bourgeois que nous avons déjà entrevus pendant la soirée aux cuirasses, ces dignes bourgeois, qui ne manquaient pas d'imagination, avaient combiné, dans leurs réunions préparatoires, une foule de plans auxquels il ne manquait que la sanction et l'appui d'un chef sur lequel on p?t compter.
Bussy-Leclerc venait annoncer qu'il avait exercé trois couvents au maniement des armes, et enrégimenté cinq cents bourgeois, c'est-à-dire mis en disponibilité un effectif de mille hommes.
Lachapelle-Marteau avait pratiqué les magistrats, les clercs et tout le peuple du palais. Il pouvait offrir à la fois le conseil et l'action; représenter le conseil par deux cents robes noires, l'action par deux cents hoquetons.
Brigard avait les marchands de la rue des Lombards, des piliers des halles et de la rue Saint-Denis.
Crucé partageait les procureurs avec Lachapelle-Marteau, et disposait, de plus, de l'Université de Paris.
Delbar offrait tous les mariniers et les gens du port, dangereuse espèce formant un contingent de cinq cents hommes.
Louchard disposait de cinq cents maquignons et marchands de chevaux, catholiques enragés.
Un potier d'étain qui s'appelait Pollard et un charcutier nommé Gilbert présentaient quinze cents bouchers et charcutiers de la ville et des faubourgs.
Ma?tre Nicolas Poulain, l'ami de Chicot, offrait tout et tout le monde.
Quand le duc, bien claquemuré dans une chambre s?re, eut entendu ces révélations et ces offres:
-- J'admire la force de la Ligue, dit-il, mais le but qu'elle vient sans doute me proposer, je ne le vois pas.
Ma?tre Lachapelle-Marteau s'apprêta aussit?t à faire un discours en trois points; il était fort prolixe, la chose était connue; Mayenne frissonna.
-- Faisons vite, dit-il.
Bussy-Leclerc coupa la parole à Marteau.
-- Voici, dit-il. Nous avons soif d'un changement; nous sommes les plus forts, et nous voulons en conséquence ce changement: c'est court, clair et précis.
-- Mais, demanda Mayenne, comment opérerez-vous pour arriver à ce changement?
-- Il me semble, dit Bussy-Leclerc avec cette franchise de parole qui chez un homme de si basse condition que lui pouvait passer pour de l'audace, il me semble que l'idée de l'Union venant de nos chefs, c'était à nos chefs et non à nous d'indiquer le but.
-- Messieurs, répliqua Mayenne, vous avez parfaitement raison: le but doit être indiqué par ceux qui ont l'honneur d'être vos chefs; mais c'est ici le cas de vous répéter que le général doit être le juge du moment de livrer la bataille, et qu'il a beau voir ses troupes rangées, armées et animées, il ne donne le signal de la charge que lorsqu'il croit devoir le faire.
-- Mais enfin, monseigneur, reprit Crucé, la Ligue est pressée, nous avons déjà eu l'honneur de vous le dire.
-- Pressée de quoi, monsieur Crucé? demanda Mayenne.
-- Mais d'arriver.
-- A quoi?
-- A notre but; nous avons notre plan aussi, nous.
-- Alors, c'est différent, dit Mayenne; si vous avez votre plan, je n'ai plus rien à dire.
-- Oui, monseigneur; mais pouvons-nous compter sur votre aide?
-- Sans aucun doute, si ce plan nous agrée, à mon frère et à moi.
-- C'est probable, monseigneur, qu'il vous agréera.
-- Voyons ce plan, alors.
Les ligueurs
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