tendit sa carte.
-- Pertinax de Montcrabeau, 26 octobre, midi précis, porte
Saint-Antoine. Passez.
Le jeune homme passa, et, un peu étourdi de la réception, alla rejoindre
Perducas, qui attendait l'ouverture de la porte.
Le troisième Gascon s'approcha; c'était le Gascon à la femme et aux
enfants.
-- Votre carte? demanda Loignac.
Sa main obéissante plonge aussitôt dans une petite gibecière de peau de
chèvre qu'il portait au côté droit.
Mais ce fut inutilement: embarrassé qu'il était par l'enfant qu'il portait
dans ses bras, il ne trouvait point le papier qu'on lui demandait.
-- Que diable faites-vous de cet enfant, monsieur? vous voyez bien qu'il
vous gêne.
-- C'est mon fils, monsieur de Loignac.
-- Eh bien! déposez votre fils à terre.
Le Gascon obéit; l'enfant se mit à hurler.
-- Ah ça! vous êtes donc marié? demanda Loignac.
-- Oui, monsieur l'officier.
-- A vingt ans?
-- On se marie jeune chez nous, vous le savez bien, monsieur de
Loignac, vous qui vous êtes marié à dix-huit.
-- Bon! fit Loignac, en voilà encore un qui me connaît.
La femme s'était approchée pendant ce temps, et les enfants, pendus à
sa robe, l'avaient suivie.
-- Et pourquoi ne serait-il point marié? demanda-t-elle en se redressant
et en écartant de son front hâlé ses cheveux noirs que la poussière du
chemin y fixait comme une pâte; est-ce que c'est passé de mode de se
marier à Paris? Oui, monsieur, il est marié, et voici encore deux autres
enfants qui l'appellent leur père.
-- Oui, mais qui ne sont que les fils de ma femme, monsieur de Loignac,
comme aussi ce grand garçon qui tient derrière; avancez, Militor, et
saluez monsieur de Loignac, notre compatriote.
Un garçon de seize à dix-sept ans, vigoureux, agile et ressemblant à un
faucon par son oeil rond et son nez crochu, s'approcha les deux mains
passées dans sa ceinture de buffle; il était vêtu d'une bonne casaque de
laine tricotée, portait sur ses jambes musculeuses un haut-de-chausse en
peau de chamois, et une moustache naissante ombrageait sa lèvre à la
fois insolente et sensuelle.
-- C'est Militor, mon beau-fils, monsieur de Loignac, le fils aîné de ma
femme, qui est une Chavantrade, parente des Loignac, Militor de
Chavantrade, pour vous servir. Saluez donc, Militor.
Puis se baissant vers l'enfant qui se roulait en criant sur la route:
-- Tais-toi, Scipion, tais-toi, petit, ajouta-t-il tout en cherchant sa carte
dans toutes ses poches.
Pendant ce temps, Militor, pour obéir à l'injonction de son père,
s'inclinait légèrement et sans sortir ses mains de sa ceinture.
-- Pour l'amour de Dieu, monsieur, votre carte! s'écria Loignac,
impatienté.
-- Venez ça et m'aidez, Lardille, dit à sa femme le Gascon tout
rougissant.
Lardille détacha l'une après l'autre les deux mains cramponnées à sa
robe, et fouilla elle-même dans la gibecière et dans les poches de son
mari.
-- Rien! dit-elle, il faut que nous l'ayons perdue.
-- Alors, je vous fais arrêter, dit Loignac.
Le Gascon devint pâle.
-- Je m'appelle Eustache de Miradoux, dit-il, et je me recommanderai
de M. de Sainte-Maline, mon parent.
-- Ah! vous êtes parent de Sainte-Maline, dit Loignac un peu radouci. Il
est vrai que, si on les écoutait, ils sont parents de tout le monde! eh bien,
cherchez encore, et surtout cherchez fructueusement.
-- Voyez, Lardille, voyez dans les hardes de vos enfants, dit Eustache,
tremblant de dépit et d'inquiétude.
Lardille s'agenouilla devant un petit paquet de modestes effets, qu'elle
retourna en murmurant.
Le jeune Scipion continuait de s'égosiller; il est vrai que ses frères de
mère, voyant qu'on ne s'occupait pas d'eux, s'amusaient à lui entonner
du sable dans la bouche.
Militor ne bougeait pas; on eût dit que les misères de la vie de famille
passaient au-dessous ou au-dessus de ce grand garçon sans l'atteindre.
-- Eh! fit tout à coup monsieur de Loignac; que vois-je là-bas, sur la
manche de ce dadais, dans une enveloppe de peau?
-- Oui, oui, c'est cela! s'écria Eustache triomphant; c'est une idée de
Lardille, je me le rappelle maintenant; elle a cousu cette carte sur
Militor.
-- Pour qu'il portât quelque chose, dit ironiquement de Loignac. Fi! le
grand veau! qui ne tient même pas ses bras ballants, dans la crainte de
porter ses bras.
Les lèvres de Militor blêmirent de colère, tandis que son visage se
marbrait de rouge sur le nez, le menton et les sourcils.
-- Un veau n'a pas de bras; grommela-t-il avec de méchants yeux, il a
des pattes comme certaines gens de ma connaissance.
-- La paix! dit Eustache; vous voyez bien, Militor, que monsieur de
Loignac nous fait l'honneur de plaisanter avec nous.
-- Non, pardioux! je ne plaisante pas, répliqua Loignac, et je veux au
contraire que ce grand drôle prenne mes paroles comme je les dis. S'il
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