seriez-vous sorcier,
monsieur Friard?
-- Tiens! il me connaît! s'écria le bourgeois au comble de l'étonnement,
et d'où me connaît-il?
-- Ne vous ai-je pas nommé deux ou trois fois, compère? dit Miton en
haussant les épaules comme un homme honteux devant un étranger du
peu d'intelligence de son interlocuteur.
-- Ah! c'est vrai, reprit Friard, faisant un effort pour comprendre, et
comprenant, grâce à cet effort; c'est, sur ma parole, vrai; eh bien!
puisqu'il me connaît, il va me répondre. Eh bien! monsieur,
continua-t-il en se retournant vers l'inconnu, je pense que vous pensez
qu'il y aura du bruit en Grève, attendu que si vous ne le pensiez pas
vous y seriez, et qu'au contraire vous êtes ici... ha!
Ce ha! prouvait que le compère Friard avait atteint, dans sa déduction,
les bornes les plus éloignées de sa logique et de son esprit.
-- Mais vous, monsieur Friard, puisque vous pensez le contraire de ce
que vous pensez que je pense, répondit l'inconnu, en appuyant sur mots
prononcés déjà par son interrogateur et répétés par lui, pourquoi n'y
êtes-vous pas, en Grève? Il me semble cependant que le spectacle est
assez réjouissant pour que les amis du roi s'y foulent. Après cela,
peut-être me répondrez-vous que vous n'êtes pas des amis du roi, mais
de ceux de M. de Guise, et que vous attendez ici les Lorrains qui, dit-on,
doivent faire invasion dans Paris pour délivrer M. de Salcède.
-- Non, monsieur, répondit vivement le petit homme, visiblement
effrayé de ce que supposait l'inconnu; non, monsieur, j'attends ma
femme, mademoiselle Nicole Friard, qui est allée reporter vingt-quatre
nappes au prieuré des Jacobins, ayant l'honneur d'être blanchisseuse
particulière de don Modeste Gorenflot, abbé dudit prieuré des Jacobins.
Mais pour en revenir au hourvari dont parlait le compère Miton, et
auquel je ne crois pas ni vous non plus, à ce que vous dites du moins...
-- Compère, compère! s'écria Miton, regardez donc ce qui se passe.
Maître Friard suivit la direction indiquée par le doigt de son
compagnon, et vit qu'outre les barrières dont la fermeture préoccupait
déjà si sérieusement les esprits, on fermait encore la porte.
Cette porte fermée, une partie des Suisses vint s'établir en avant du
fossé.
-- Comment! comment! s'écria Friard pâlissant, ce n'est point assez de
la barrière, et voilà qu'on ferme la porte, maintenant!
-- Eh bien! que vous disais-je? répondit Miton, pâlissant à son tour.
-- C'est drôle, n'est-ce pas? fit l'inconnu en riant.
Et, en riant, il découvrit, entre la barbe de ses moustaches et celle de
son menton, une double rangée de dents blanches et aiguës qui
paraissaient merveilleusement aiguisées par l'habitude de s'en servir au
moins quatre fois par jour.
A la vue de cette nouvelle précaution prise, un long murmure
d'étonnement et quelques cris d'effroi s'élevèrent de la foule compacte
qui encombrait les abords de la barrière.
-- Faites faire le cercle! cria la voix impérative d'un officier.
La manoeuvre fut opérée à l'instant même, mais non sans encombre: les
gens à cheval et les gens en charrette, forcés de rétrograder, écrasèrent
ça et là quelques pieds et enfoncèrent à droite et à gauche quelques
côtes dans la foule.
Les femmes criaient, les hommes juraient; ceux qui pouvaient fuir
fuyaient en se renversant les uns sur les autres.
-- Les Lorrains! les Lorrains! cria une voix au milieu de tout ce
tumulte.
Le cri le plus terrible, emprunté au pâle vocabulaire de la peur, n'eût
pas produit un effet plus prompt et plus décisif que ce cri:
-- Les Lorrains!!!
-- Eh bien! voyez-vous? voyez-vous? s'écria Miton tremblant, les
Lorrains, les Lorrains, fuyons!
-- Fuir, et où cela? demanda Friard.
-- Dans cet enclos, s'écria Miton en se déchirant les mains pour saisir
les épines de cette haie sur laquelle était moelleusement assis l'inconnu.
-- Dans cet enclos, dit Friard; cela vous est plus aisé à dire qu'à faire,
maître Miton. Je ne vois pas de trou pour entrer dans cet enclos, et vous
n'avez pas la prétention de franchir cette haie qui est plus haute que
moi.
-- Je tâcherai, dit Miton, je tâcherai. Et il fit de nouveaux efforts.
-- Ah! prenez donc garde, ma bonne femme! cria Friard du ton de
détresse d'un homme qui commence à perdre la tête, votre âne me
marche sur les talons. Ouf! monsieur le cavalier, faites donc attention,
votre cheval va ruer. Tudieu! charretier, mon ami, vous me fourrez le
brancard de votre charrette dans les côtes.
Pendant que maître Miton se cramponnait aux branches de la haie pour
passer par-dessus, et que le compère Friard cherchait vainement une
ouverture pour se glisser par-dessous, l'inconnu s'était levé, avait
purement et simplement ouvert le compas de ses longues jambes, et
d'un simple mouvement, pareil à celui que fait un cavalier pour se
mettre
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