Lamartine, souvenirs et documents (Macon, 1890).--Lex, les Fiefs du Maconnais (Macon, 1897).]
Mais si, et avec raison, l'on accorde à l'éducation et au milieu une influence prépondérante sur le développement d'un génie, il faut également faire une part aux influences ancestrales, à la vie antérieure qui, elles aussi, laissent des traces plus profondes qu'on ne l'imagine ordinairement, et l'héritage moral d'un poète est précieux à conna?tre pour tout ce qu'il lui a transmis d'instincts ataviques. Une telle étude est souvent délicate et vaine devant le petit nombre de documents que l'on parvient à recueillir. Une filiation exacte pendant trois siècles--le plus haut qu'on puisse habituellement remonter--est curieuse, mais de simples dates ne suffisent pas; il faudrait conna?tre la vie des ancêtres, savoir où et comment ils vécurent, quelles passions les dominèrent, dans quelle province ils fixèrent leur foyer, en un mot posséder ce qu'on appelait jadis le Livre de raison, registre où les chefs de famille inscrivaient à tour de r?le grands et petits événements d'une existence souvent trop obscure pour qu'on puisse en retrouver trace dans les archives des villes où ils vécurent.
Pour Lamartine, nous avons la bonne fortune d'être à peu près fixés sur son hérédité, grace à une abondance rare de documents qui nous permettent de remonter jusqu'au début du XVIe siècle, avec des détails précis et nombreux sur les deux familles dont il descend.
Tout d'abord, il est curieux de constater que dès l'origine l'une et l'autre semblent être établies de longue date dans les régions mêmes où elles demeurèrent ensuite jusqu'à la fin du XVIIIe siècle; et cet intense et pénétrant sentiment de la terre natale qui sera chez Lamartine une des notes dominantes de sa poésie, se retrouve déjà chez ses pères qui lui transmirent un peu de leur amour du sol lentement acquis au cours des siècles. Mais aucun ancêtre, pas plus chez les Lamartine que chez les Des Roys, n'a laissé grande trace dans l'histoire de son temps: enracinés dans le même coin de Bourgogne ou d'Auvergne depuis douze générations, habitués de père en fils à faire tout naturellement le sacrifice d'intérêts immédiats ou propres à ceux lointains et souvent invisibles de la race et de la famille, tous, bourgeois, magistrats et capitaines, vécurent la même vie paisible et sédentaire, soucieux avant tout d'augmenter leur bien par de solides alliances, tandis que les cadets s'en allaient mourir obscurément à quelque siège lointain, et que les filles, peu ou point dotées, tra?naient leur mélancolique existence sous les arceaux du clo?tre le plus proche.
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C'est à Macon, paisible et dormante petite cité, qu'il faut chercher les origines paternelles de Lamartine, dont les ancêtres, dès la fin du XVIe siècle, habitaient la maison même où il naquit. La forme primitive du nom est Alamartine--et non Allamartine, comme il l'a écrit,--qui subsiste encore actuellement en Bourgogne et dans la Haute-Loire. La famille est originaire du Charollais, où l'on rencontre à la fin du XVe siècle des Alaberthe, Alabernarde, Alablanche, devenus plus tard, à la suite d'une transformation identique, des de la Berthe, de Labernarde et de Lablanche. Quant aux origines sarrasines dont le poète se targuait volontiers, elles étaient peut-être une charmante excuse à sa hautaine nonchalance, à son amour des animaux et à l'invincible attrait que l'Orient exer?a toujours sur lui, mais elles demeurent, bien entendu, plus que problématiques. La forme Alamartine se trouve dans la famille du poète jusqu'à la fin du XVIIe siècle, en la personne de Jean-Baptiste Alamartine, son trisa?eul, qui, bien que né noble, signa jusqu'en 1680 Alamartine.
Au XVIIIe siècle, toute trace de roture a définitivement disparu du nom, qui s'écrit Delamartine ou de la Martine, mais rarement de Lamartine; ce n'est qu'avec la Révolution qu'on voit appara?tre cette dernière forme, sans la particule. Notons enfin que, jusqu'en 1825, le poète signa indifféremment Delamartine, de la Martine, ou de Lamartine. Mais la transformation légitime d'Alamartine ou de la Martine date du milieu du XVIIe siècle, époque où la famille fut anoblie.
Il y avait en 1789 peu d'ancienne noblesse dans la région du Maconnais. Elle n'était guère représentée que par quelques vieilles familles désoeuvrées et hautaines, à qui la modicité de leurs revenus interdisait Versailles où elles n'auraient pu tenir leur rang; et à part ce comte de la Baume-Montrevel qui n'avait jamais mis les pieds à la cour et trouvait moyen de manger royalement à Macon ses six cent mille livres de revenu avec ses équipages, ses violons et ses chasses, le reste n'était guère que bourgeois enrichis, vivant de la terre, et indifférents à la politique.
La famille de Lamartine en est d'ailleurs le meilleur exemple: à la fin du XVIIIe siècle, ses membres établis dans la région depuis plus de trois cents ans s'étaient lentement élevés des plus infimes fonctions aux plus hautes charges, et les transformations subies par
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