Les Noces Chimiques | Page 9

Christian Rosencreutz
monde veut à toute force être
abusé et ferme ses oreilles à ceux qui ne cherchent que son bien.
Regarde donc ce flatteur et observe par quelles comparaisons ridicules
et par quelles déductions insensées il capte l'attention de son entourage;
là-bas un autre se moque des gens avec des mots mystérieux inouis.
Mais, crois m'en, il arrivera un temps où l'on ôtera les masques et les
déguisements pour montrer à tous, les fourbes qu'ils cachaient; alors on
reviendra peut-être à ceux que l'on avait dédaignés».
Et le tumulte devaient de plus en plus violent. Soudain une musique
délicieuse, admirable, telle que je n'en avais entendue de ma vie, s'éleva
dans la salle; et, pressentant des événements inattendus, toute
l'assemblée se tut. La mélodie montait d'un ensemble d'instruments à
corde avec une harmonie si parfaite que j'en restai comme figé, tout
absorbé en moi-même, au grand étonnement de mon voisin; et elle nous

tint sous son charme près d'une demi-heure durant laquelle nous
gardâmes le silence; du reste quelques-uns ayant eu l'intention de parler
furent aussitôt corrigés par une main invisible; en ce qui me concernait,
renonçant à voir les musiciens je cherchais à voir leurs instruments.
Une demi-heure s'était écoulée lorsque la musique cessa subitement
sans que nous eussions pu voir d'où elle provenait.
Mais voici qu'une fanfare de trompettes et un roulement de tambours
éclatèrent à l'entrée de la salle et ils résonnèrent avec une telle maëstria
que nous nous attendions à voir entrer l'empereur romain en personne.
Nous vîmes la porte s'ouvrir d'elle-même, et alors l'éclat de la fanfare
devint tel que nous pouvions à peine le supporter. Cependant des
lumières entrèrent dans la salle, par milliers, me semblait-il; elles se
mouvaient toutes seules, dans leur rang, ce qui ne laissa de nous
effrayer. Puis, vinrent les deux pages portant des flambeaux; ils
précédaient une vierge de grande beauté qui approchait, portée sur un
admirable siège d'or. En cette vierge, il me sembla reconnaître celle qui
avait précédemment allumé puis éteint les lumières; de même je crus
reconnaître dans ses serviteurs ceux qui étaient de garde sous les arbres
bordant la route. Elle ne portait plus sa robe bleue, mais sa tunique était
étincelante, blanche comme la neige, ruisselante d'or, et d'un tel éclat
que nous ne pouvions la regarder avec persistance. Les vêtements des
deux pages étaient semblables; toutefois leur éclat était moindre.
Dès que la vierge fut parvenue au centre de la salle, elle descendit de
son siège et toutes les lumières s'abaissèrent comme pour la saluer.
Nous nous levâmes tous aussitôt sans quitter notre place.
Elle s'inclina devant nous et après avoir reçu nos hommages, elle
commença d'une voix adorable le discours suivant:
Le roi, mon gracieux seigneur, Qui n'est plus très loin maintenant,
Ainsi que sa très chère fiancée, Confiée à son honneur, Ont vu avec une
grande joie Votre arrivée tantôt. Ils honorent chacun de vous De leur
faveur, à tout instant, Et souhaitent du fond du coeur Que vous
réussissiez; à toute heure. Afin qu'à la joie de leurs noces futures Ne fût
mêlée l'affliction d'aucun.

Puis elle s'inclina de nouveau avec courtoisie, ses lumières l'imitèrent et
elle continua comme suit:
Vous savez par l'invitation Que nul homme n'a été appelé ici Qui n'eût
reçu tous les dons précieux De Dieu, depuis longtemps, Et qui ne fût
paré suffisamment Comme cela convient en cette circonstance. Mes
maîtres ne veulent pas croire Que quelqu'un pût être assez audacieux,
Vu les conditions si sévères, De se présenter, à moins Qu'il ne se fût
préparé par leurs noces Depuis de longues années. Ils conservent donc
bon espoir Et vous destinent tous les biens, à tous; Ils se réjouissent de
ce qu'en ces temps difficiles Ils trouvent réunis ici tant de personnes.
Cependant les hommes sont si audacieux Que leur grossièreté ne les
retient pas. Ils s'introduisent dans des lieux, Où ils ne sont pas appelés.
Donc, pour que les fourbes ne puissent donner le change, Pour
qu'aucun imposteur ne se glisse parmi les autres, Et afin qu'ils puissent
célébrer bientôt, sans rien cacher
Des noces pures, On installera pour demain La balance des Artistes;
Alors, chacun s'apercevra facilement De ce qu'il a négligé d'acquérir
chez lui. Si quelqu'un dans cette foule, à présent N'est pas sûr de lui
entièrement, Qu'il s'en aille vivement; Car s'il advient qu'il reste ici,
Toute grâce sera perdue pour lui. Et demain il sera châtié. Quant à ceux
qui veulent sonder leur conscience, Ils resteront aujourd'hui dans cette
salle. Ils seront libres jusqu'à demain, Mais qu'ils ne reviennent jamais
ici. Mais que celui qui est certain de son passé Suive son serviteur Qui
lui montrera son appartement. Qu'il s'y repose aujourd'hui Dans
l'attente de la balance et de la gloire. Aux autres le sommeil apporterait
mainte douleur; Qu'ils se contentent donc de
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