ne plus reparaître, pendant
que Louis-le-Bon nageait rapidement vers la plage.
--Merci, ami Nick, tu m'as tiré une fameuse épine du pied, dit-il en
serrant la main du chasseur.
--Tu pourrais dire du dos, ça serait plus juste, mon cousin, répliqua
Nick avec un accent narquois qui lui était particulier.
--Que s'est-il passé? intervint Poignet-d'Acier.
--Ah! capitaine, des choses à faire frémir.
Et il raconta que les Nez-Percés, ayant, surpris le navire, l'avaient
envahi, puis, qu'ils s'étaient enivrés et avaient, par mégarde, mis le feu à
un tonneau de poudre en voulant brûler de l'eau-de-vie à la manière des
trappeurs canadiens.
--Quel saut, capitaine! s'écria-t-il en terminant. Parole, je ne croyais
plus remettre la patte sur le plancher des...
--Et Merellum! interrompit Poignet-d'Acier.
--Ah! pour elle, la chère enfant du bon Dieu! je crains bien...
Et Louis-le-Bon essuya une larme avec le revers de sa main calleuse.
--Elle est morte, n'est-ce pas? dit le capitaine d'un ton altéré.
--Hélas! fit son interlocuteur en levant les yeux au ciel.
--Encore une espérance de déçue, une haine de plus pour grossir le
poids de mes haines contre l'Angleterre, mâchonna Poignet-d'Acier en
regardant, avec une sorte de colère, la Colombie qui achevait
d'emporter les derniers vestiges de ce terrible accident.
Après une minute de muette contemplation, l'aventurier passa la main
sur son front, puis il se redressa, calme, impassible. Cet homme
énergique, qui réunissait en lui toutes les forces que la nature accorde à
ses créatures les plus privilégiées, avait pris une nouvelle
détermination.
S'adressant aux deux trappeurs:
--J'ai résolu, leur dit-il, de retourner à Québec par terre pour y fréter un
autre navire. Quoique le voyage soit de deux mille lieues, j'aime mieux
l'entreprendre immédiatement que d'attendre au printemps prochain le
retour des vaisseaux américains qui font la traite sur la côte du rio
Columbia, car peut-être ne trouverais-je pas un bâtiment à acheter. Une
chance comme celle que j'ai eue à la saison dernière ne se rencontre pas
deux fois de suite. Vous, Nick, et vous, Louis-le-Bon, consentirez-vous
à m'accompagner?
--Jusqu'aux établissements, ça me va, capitaine, répondit le premier,
mais au delà, ô Dieu non!
--Et moi je dis comme mon cousin Nick, ajouta le second.
Poignet-d'Acier s'approcha alors d'Oli-Tahara:
--Mon frère, lui dit-il, les Nez-Percés sont cause de la mort de
Merellum, la fille chérie de Ouaskèma, tu te rappelles? Elle était à bord
de ce vaisseau qu'ils ont fait sauter. Je te laisse le soin de la venger!
--Si les Nez-Percés ont causé la mort de Merellum, Oli-Tahara ne
reposera pas sa tête sous un wigwam, tant que soufflera un des lâches
descendants de cette infâme tribu, répliqua le chef d'une voix tonnante.
Mais pourquoi mon frère ne vient-il pas avec nous mettre le feu à leurs
loges?
--Mes affaires m'appellent vers l'est, repartit le capitaine.
--Que Yas-soch-a-la-ti-yah soit propice à mon frère! Mais que mon
frère se souvienne d'Oli-Tahara, car il est son ami. Il a juré sur le sang
de Ouaskèma de le servir, et il tiendra son serment.
--Je te remercie, dit Poignet-d'Acier. Dans douze lunes, nous nous
reverrons. N'oublie point Merellum! Adieu!
Après ces mots, le chasseur blanc et le Dompteur-de-Buffles
échangèrent une poignée de main, puis le premier, suivi des deux
trappeurs, remonta le cours de la Colombie, tandis que l'autre
s'apprêtait à la traverser avec ses guerriers.
CHAPITRE III
UN MARIAGE CHEZ LES NEZ-PERCÉS
Un mois avant ces événements mémorables qui agirent si puissamment
sur les destinées des Nez-Percés, un mariage s'était célébré dans le
principal village de cette tribu. Molodun, le Renard-Noir, chef
renommé par son courage et son habileté, épousait Lioura, la
Blanche-Nuée, vierge aussi réputée pour sa beauté que Molodun l'était
pour sa valeur.
Le village des Nez-Percés était situé à trente milles environ du fort
anglais de ce nom, sur le bord de la partie du rio Columbia appelée la
Grande-Combe, entre les rivières Voila-Voila au sud, et Saaptim au
nord. A cette époque, c'est-à-dire en 1834, il se composait de trois ou
quatre cents huttes, distribuées sans ordre dans une plaine stérile bordée
à l'ouest par des prairies mouvantes, entrecoupées de lacs d'eau
saumâtre, et fuyant à l'est, vers une région volcanique horriblement
convulsionnée.
Les habitations étaient en boue, recrépies avec de la fiente de buffle.
Elles affectaient la forme d'un carré long, percé à son extrémité
supérieure pour livrer issue à la fumée. Des peaux de bison séchées au
soleil tenaient lieu de portes. Des canots en écorce ou creusés dans des
troncs d'arbre, au moyen de cailloux rougis au feu, des harpons, des
filets en corde de ouatap; des armes de chasse et de guerre; de longues
lignes faites avec des joncs étaient étalés pêle-mêle devant les huttes,
autour desquelles on voyait circuler des troupes d'hommes entièrement
nus, de femmes à à demi vêtues et d'enfants des deux
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