Dames.
Quand elle est frappée, elle ressuscite et s'en va, chancelante, à la recherche de son amant. Car ici nous appelons les choses par leur nom: ma ma?tresse, mon amant, gros comme le bras. Enfin la mal fusillée, à peine couverte des voiles d'une dame de la charité, est reconnue par son chien et par un agent de police; alors commence une série interminable d'épreuves et de malédictions. M. Arsène Houssaye est habile en toute sorte de péripéties. Angeline Duportail, sit?t qu'elle est rendue à la douce lumière, pleure des larmes de repentir; mais quand son amant est condamné à la déportation, elle le suit avec Thermidor jusqu'au port où le colonel Ducharme est embarqué pour Nouméa.
Alors Thermidor, voyant partir son ma?tre, l'appelle en désespéré; il finit par se jeter dans le flot retentissant. Il aboie sa douleur; mais comment quitter celle-ci pour celui-là? Il va, il revient. Il finit par se noyer, et la belle Angeline, à son tour, meurt d'amour et de chagrin. Ah! que de peines avant d'arriver à la tombe, et que la jeune Henriette, de l'Ane mort, a plus t?t fait de courber sa belle tête sous la main du bourreau!
De tous les romans de M. Arsène Houssaye, il semble que celui-là est le plus rempli d'épouvante et de terreur. J'ai presque dit de sympathie et de pitié. Ainsi, ces créatures de l'autre monde auront mérité l'honneur d'aller rejoindre, dans leurs chateaux, dans leurs boudoirs, en leurs ab?mes, en leurs cercueils, toutes les ma?tresses de M. Don Juan de Parisis.
Mais que M. Arsène Houssaye, dans les entr'actes de ses livres plus sévères, retourne à ses grandes dames, à ses belles pécheresses, à ses passions de la vie parisienne. Pourquoi n'écrit-t-il pas ce livre, depuis longtemps annoncé: Les mains pleines de roses, pleines d'or et pleines de sang? Il m'a conté cette histoire. Il y a là une idée philosophique et un drame terrible.
JULES JANIN.
LIVRE PREMIER
LES MAINS PLEINES DE ROSES
Celui qui nie l'Inconnu nie les destinées de son ame. GOETHE.
J'ai commencé par nier tout, j'ai fini par croire à tout. LA HARPE.
Cette femme qui sourit dans sa beauté te donnera l'amour et la mort. Mais qu'est-ce que la vie sans l'amour! OCTAVE DE PARISIS.
I
LA VISION DU CHATEAU DE MARGIVAL
Cette histoire va vous para?tre étrange; c'est la Vérité elle-même qui parle.
Un jeune homme de vingt ans passait à cheval dans une petite vallée du Soissonnais, coupée de prairies, de bois et d'étangs, dominée par une montagne où s'agitaient et babillaient trois ou quatre moulins à vent. Le soleil disait adieu aux flèches aigu?s de l'église; l'Angélus ne sonnait pas comme dans les romans, parce que le ma?tre d'école arrosait son jardinet bordé de buis, où fleurissait sur la même ligne la ciboule et le dahlia. On entendait le cri argentin du crapaud, ce doux po?te des marais. Le coucou et le merle, qui avaient déjà fait leur lit sur la ramure, ne se répondaient plus qu'à de longs intervalles.
Ce jeune homme allait je ne sais où, ni lui non plus. Le cheval, tout enivré par la verte et savoureuse odeur de la luzerne fauchée, était léger comme la jeunesse; il effleurait l'herbe et dévorait l'espace. Le cavalier allait plus vite encore; il voyageait à bride abattue dans le monde idéal qui vous ouvre à vingt ans ses portes d'or et d'azur. D'où venait-il? du collège. Il n'avait pas vécu de la vie jusque-là. Il n'avait connu que les Grecs et les Romains. L'étude avait chastement veillé en sentinelle sur son coeur, comme la vestale antique dans le temple de Junon.
Il allait vivre, enfin! La passion viendrait bient?t à lui tout échevelée avec ses fureurs divines, ses étreintes de flamme. Il avait appris à lire, mais il avait à peine entr'ouvert ce livre sacré, ce livre infernal où Dieu et Satan ont écrit leurs po?mes. Comme il ne croyait qu'à Dieu, il entr'ouvrait le livre avec confiance. Il entrait dans la vie avec la pieuse ferveur d'un chrétien qui franchit le seuil d'une église en songeant que là du moins, sous les regards des anges, des vierges et des saints qui sourient dans les vitraux ou dans les cadres, il est à l'abri des méchants.
Georges du Quesnoy,--c'est son nom,--était fils d'un magistrat, frappé dans sa carrière par 1848, un galant homme qui avait eu le tort de mettre un peu de politique dans la balance de la justice. Il avait trois enfants, deux fils et une fille. Sa fortune était des plus médiocres. Il vivait dans le Soissonnais, très-retiré du monde, du produit d'une ferme qui ne devait guère donner que 100,000 francs à chacun de ses enfants. La fille était mariée à un procureur impérial; le fils a?né, depuis un an sorti du collège, ne voulait rien faire, sous prétexte qu'il faisait des vers; le plus jeune se
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