Les Mains Pleines de Rose, Pleines dOr et Pleines de Sang | Page 5

Arsène Houssaye
fête et l'amour du public.
Je crois bien que M. Sainte-Beuve eut quelque souci du livre nouveau; mais il s'en repentit, comme a fait plus tard George Sand, effa?ant de ses pages le titre du livre et le nom de l'auteur. Cependant l'Ane mort a fait son chemin; on l'a mis en tableau, en gravure, en mauvais drame, et l'illustration de ce petit conte fut le dernier travail de Tony Johannot. D'autres livres sont venus plus tard qui ne devaient pas le laisser vivre. On ne va pas à l'Ane mort quand on peut lire Eugénie Grandet et Notre-Dame de Paris. Mais quoi! peu de lecteurs suffisent à l'homme sensé: Contentus paucis lectoribus, disait Horace, et l'auteur de l'Ane mort, après quelques tentatives pour arriver à son premier succès, finit par traduire Horace et ne trouva pas de concurrents. Il a fait plus tard un livre assez considérable: la Fin d'un Monde et du Neveu de Rameau, dont la première édition--? surprise!--est épuisée au bout de cinq ans, sans que l'auteur ait pu se plaindre de la critique ni de la curiosité de ses contemporains.
C'est donc en souvenir de l'Ane mort et la Femme guillotinée que M. Arsène Houssaye lui dédia: Le Chien perdu et la Femme fusillée. Or, cette fois, vous pourrez juger à quel point de réalisme, et, disons mieux, de vérité, l'illustre écrivain a poussé les qualités par lesquelles il est parvenu à composer les Grandes Dames, les Parisiennes et les Courtisanes du monde. Il a choisi pour son texte: les Epouvantements et les Ab?mes, c'est-à-dire les derniers jours de l'infame Commune. Il la conna?t par coeur, il la conna?t aussi bien qu'il conna?t le grand monde et le demi-monde; et quand vous aurez lu ces deux tomes des ab?mes et des épouvantements, ne vous étonnez pas que vous sachiez toute cette histoire. Ah! voilà bien cette autre fin d'un monde au milieu des flammes et des égorgements!
Il y avait, en ce temps-là, un franc-tireur qui sauvait un chien d'une mort certaine; il s'appelait Ducharme; il était amoureux d'une certaine Virginie Duportail, qui lui rendait amour pour amour, mais aussi trahison pour trahison. Elle riait quand elle avait bien trompé un amoureux de sa beauté; elle était mêlée à ces histoires de Belleville et de l'H?tel de ville. S'il y avait une barricade, elle abordait la barricade avec du vin de Champagne. Enfin, s'il était terrible, elle était violente. Elle vivait avec ce qu'il y avait de pire à Paris, et l'auteur ne se gêne pas pour les hommes, disant: ?Celui-ci est un Spartiate et celui-là est un Athénien de barrière!? Entre tous ces jeunes gens il y avait ce beau chien nommé Thermidor, très-bien venu des bataillons de Montmartre, de Montrouge et de Ménilmontant.
Thermidor est une bête plus intéressante, et plus aimable que l'Ane mort. Il gambade autour de ces terroristes, Raoul Rigault et Gustave Flourens! Pauvre Flourens! je l'ai connu beaucoup, moi qui vous parle; il était simple et bon. Il serait resté tout un jour assis dans le même fauteuil et rêvant, Dieu sait à quoi! Nous avons aussi, à coté du chien Thermidor, le citoyen Carnaval, qui nous fait rire, et puis Mlle de Volnay, qui se tue à la grande fa?on romaine, à la fa?on de Lucrèce, et qui n'en meurt pas! Bref, dès les premières pages, tout se mêle et se confond dans ce récit, qui est déjà le récit d'un autre monde.
Avant l'heure où les soldats de Versailles s'emparent de Paris et viennent à bout de la Commune, le peintre excelle à nous montrer les communards dans leur désordre et dans leur désastre. Ici Jules Vallès apostrophant Courbet; plus loin Dacosta tendant son verre à Théophile Ferré. On ne boit plus dans tout Paris que du vin de Champagne, hormis du vin bleu; on n'entend plus que les échos de la Marseillaise, et nous avons vu le moment où l'on allait représenter l'oeuvre nouvelle de M. Pyat. Mais sa prudence a pressenti l'orage; il avait peur d'être sifflé--et fusillé! Et tout ce monde en même temps piaule et rugit, et chante, et crie. Il y en a qui s'enivrent, d'autres qui se cachent, plusieurs font l'amour, plusieurs s'en vont à Versailles à une partie où les comédiennes déclament des vers de Théophile Gautier. Les demoiselles perdent des discrétions, les dames perdent leur mouchoir, les vivandières gagnent des fédérés, les honnêtes femmes se cachent et font de la charpie. Le colonel Rossel, le général Dombrowski, M. de Rochefort, règnent et gouvernent. Le gamin de Paris s'en va de l'un à l'autre, et la belle Angeline Duportail fait la garde à l'H?tel de ville.
Aventures monstrueuses! On s'empare à la fin d'Angeline Duportail, et, dans un h?tel du parc Monceaux, on la fusille; elle tombe à la porte de Violette, une héro?ne des Grandes
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