beaux livres, il avait traversé la grande poésie; il en avait gardé le souffle et le parfum.
Heureux chez nous l'esprit libre et en gaieté de coeur, qui se transforme, et glorifions, ? mes amis, l'imagination facile qui sait prendre à propos toutes les formes, toutes les graces, j'ai presque dit toutes les vertus. Qui veut écrire et durer longtemps dans l'esprit et dans l'imagination du lecteur, aura grand soin de varier la peine et le plaisir des gens restés fidèles à cette intime lecture. Il a sous les yeux de grands exemples, à commencer par le Roi Voltaire. Et quel homme, en ce bas monde, plus que Voltaire, fut jamais plus changeant et plus divers? Il a tout tenté, et toujours il a triomphé de l'obstacle. Et du théatre à la philosophie, et du conte en vers au conte en prose, et même, ? malheur de tant réussir! du po?me épique aux légers po?mes, où le sourire arrive avec toutes les palpitations; et de l'histoire à la critique, et même du léger billet avec lequel on finit par composer de très-gros tomes; et de la comédie à la tragédie, et de la pitié à l'enchantement, ce roi Voltaire a réussi en toutes choses. Il était la grace et la censure, l'élégie et la chanson, le charme enfin, le vrai charme, et le genre humain, ébloui de toutes ces merveilles, se demandait s'il n'était pas le jouet d'un rêve. Heureux changement! ces révolutions du bel esprit, roulant à l'infini dans un cercle qu'il s'est tracé à lui-même, et dont il sait par coeur tous les détours.
L'auteur du Quarante et unième Fauteuil comprit bien celui-là qui e?t rempli, à lui seul, tous les fauteuils; cet homme qui fut à la fois le juge et l'avocat de son siècle.
Aussi quand il eut payé son tribut à l'esprit vif et souriant qui l'entourait, Arsène Houssaye, un beau jour, se mit à raconter, dans un grand livre intitulé la Comédie parisienne, une suite infinie, imprévue, énorme, des plus terribles accidents.
Il divisait ce livre en trois séries, à savoir: les Grandes Dames,--les Parisiennes,--les Courtisanes du monde, c'est-à-dire douze gros tomes in-octavo, que nous avons lus avec stupeur, très-étonné que le même écrivain qui tournait d'une fa?on si légère autour des plus graves questions, maintenant qu'il était délivré de ces belles jeunes filles innocentes qui conservaient encore l'aspect et le parfum de leur village, entrepr?t, dans une suite de drames impitoyables, de dévoiler ces courtisanes cachées sous le manteau des duchesses, et ces duchesses qui portaient insolemment le voile obscène des courtisanes: Titulum mentitae Lysicae, disait Juvénal; et véritablement nous savons, grace à ces livres, les monstres hideux et charmants qui se cachent sous ces noms-là: Mme Vénus, Mme Phryné, la Messaline blonde, la Chanoinesse rousse, la Marquise Danaé et l'adorable Violette, et cent et une autres. Il les conna?t toutes, il sait leur vrai nom, et comment elles sont tombées, et par quel miracle la femme déchue est devenue une grande dame, et qu'il ne faut pas prendre au sérieux les cheveux blonds de Messaline, pas plus que les cheveux noirs de sa soeur.
Ah! mon Dieu, quelle suite incroyable de déguisements et d'aventures, de mensonges et de perfidies, et comment toutes ces femmes adultères ne sont plus que des femmes tarées! C'est ainsi dans ce charmant livre intitulé la Bohème, écrit par un bohémien, nous avons vu la petite Mimi: qui, parfois, à la fin du trimestre, aux modes nouvelles, s'en allait chercher les robes et les manteaux de ce matin. Elle partait nue, ou peu s'en faut, et s'en revenait, huit jours après, vêtue de soie et de velours, parée de cha?nes et de dentelles, la soie aux souliers, le diamant à la jarretière, et les bras chargés de bracelets. C'est très-vrai, la petite Mimi était une marquise, et ses grands dégingandés sentaient redoubler, aux fanfioles de ses toilettes, leur admiration pour Mimi.
Dans ces livres si curieux d'Arsène Houssaye, il y a de ce mélange éhonté de la courtisane et discret de la duchesse. Le romancier en conna?t beaucoup des unes et des autres, et quand il les réunit dans le même salon, à l'ombre ardente, un demi-jour mystérieux, favorable aux vierges folles, le plus sage et le plus sceptique lecteur se surprend à être attentif, souvent charmé et toujours amoureux. Ces ceintures, si facilement nouées et dénouées, ont un si grand attrait! Ces beaux rires contagieux ont un si grand charme! Enfin, nous allons si facilement à ces doux visages, à ces lèvres emperlées, au beau sein de ces pécheresses! Voilà le charme et l'attrait de ces études: c'est du pur Balzac, mais du Balzac sans voiles et sans emb?ches, disant toutes choses hardiment, et jamais lassé dans ses révélations.
Cette fois, par quel travail, quel mystère et quelle infatigable interprétation des vices les plus
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