Les Mains Pleines de Rose, Pleines dOr et Pleines de Sang | Page 2

Arsène Houssaye
esprit plein de doute, un talent plein de croyance, et surtout cette aimable croyance en soi-même. On ne dépend de personne; on n'a rien à demander à personne. On obéit à l'inspiration, heureux de peu, content de tout! C'était un grand plaisir de les voir si bien vivre et marcher doucement dans les sentiers qu'ils avaient découverts. Cela dura dix ans. Gérard de Nerval devint le voyageur favori de Charles Nodier, de Mérimée, d'Armand Carrel et des voyageurs dans un fauteuil.
Théophile Gautier s'emparait victorieux de l'histoire et du jugement des beaux-arts. Il régnait dans le feuilleton, par le talent, par la volonté, et, qui le croirait? par la bienveillance. Il était l'ami de Mme de Girardin, le pr?neur de Victor Hugo; toujours à son oeuvre, et quand, parfois, il avait du temps à perdre, il nous contait une élégie, il nous racontait l'ardente histoire de Mlle de Maupin. Cependant, le troisième ami, le peintre, intrépide et ne doutant de rien, se chargeait d'orner les plus beaux espaces, les places les plus célèbres dans nos églises, au conseil d'état, au Panthéon, partout, dans tous les lieux de pompe et de fête où il était désigné par son génie.
Eh bien, le plus insouciant de cette association du bien faire et du bien dire était justement ce jeune rêveur, rêvant toujours, travaillant peu, Arsène Houssaye! Son esprit, né pour la jeunesse, n'était pas encore né pour le travail. Il semblait dire à ses amis: ?Marchez devant, allez toujours, moi je fais l'école buissonnière, et j'irai, s'il vous pla?t, sans hate et sans ambition, au rendez-vous de la Fantaisie.?
Et pourtant ce fut alors qu'il écrivait la Pécheresse, un livre charmant qui peint le duel du corps et de l'ame. Ce fut alors qu'il commen?ait ses Portraits du XVIIIe siècle, ce siècle des magies de Watteau, si dédaignées en notre jeunesse.
Il avait été pris dans son chemin par un travail inattendu, j'ai presque dit inattendu. Il fut chargé de sauvegarder cette antique institution du grand siècle, appelée la Comédie-Fran?aise. En ce lieu superbe, les plus grands esprits de la France avaient trouvé l'asile et le respect pour lesquels ils étaient nés. Ici, Molière, ami du peuple, avait composé ses plus grands ouvrages: le Misanthrope et Célimène, et Tartufe et les Femmes savantes, enfants sérieux du Théatre-Fran?ais. Corneille avait apporté, du fond de la Normandie, Auguste, Cinna, émilie et tant d'autres héros, la gloire et l'orgueil du genre humain. Racine, en même temps que Corneille, avait glorifié le théatre, et laissé--souvenirs de son glorieux passage ici-bas--tant d'héro?nes charmantes et de héros glorieux: Junie, Agrippine et Mithridate; avec ses charmants railleurs qui faisaient un pendant à la comédie de Corneille: les Plaideurs; puis Iphigénie, Esther et tout le reste. étaient venus, plus tard, Voltaire et Tancrède, la philosophie après la croyance, et la sagesse du po?te après l'antique enthousiasme. Il n'y avait point de position plus belle à défendre, à protéger, à conserver, et les plus habiles, quand ils virent ce jeune homme attaché à ce pénible labeur, furent en doute de savoir comment il va se tirer de peine et par quel bonheur du temps présent il soutiendra les miracles du temps passé.
Lui, cependant, sans un moment de doute ou d'hésitation, il prit en main la défense et la protection de ce théatre incomparable; il assistait, plein de respect, aux derniers moments de Mlle Mars. Il encourageait la naissante ardeur de Mlle Rachel, et quand elle voulut aller plus loin que Camille et chanter la Marseillaise [Note: Au temps où Mlle Rachel chantait la Marseillaise, M. Arsène Houssaye n'était pas encore directeur du Théatre-Fran?ais.], il refusa de la suivre en ces périls sans nom.
Ainsi lui fut compté, pour sa renommée, et disons le vrai mot, pour sa gloire, ce passage heureux et rapide à travers le Théatre-Fran?ais (1849-1856). Il le quitta comme il l'avait pris, sans trouble et sans regret, laissant après lui quelques oeuvres charmantes que lui seul il avait protégées: Mademoiselle de la Seiglière; Charlotte Corday, les Contes de la reine de Navarre, Gabrielle, et les chefs-d'oeuvre de Victor Hugo, et les coups de théatre d'Alexandre Dumas. J'allais oublier l'inoubliable Alfred de Musset, avec son Chandelier. Et Octave Feuillet, et Léon Gozlan, et Mme de Girardin!
Et désormais voilà Arsène Houssaye rendu à la vie littéraire, au culte des belles-lettres, ses fidèles compagnes: un sourire dans le beau temps, la consolation des heures mauvaises, fidèles compagnes qu'on ne saurait trop servir et qu'on ne peut trop aimer.
Ce fut la première fois sans doute que l'on vit un directeur du Théatre-Fran?ais quitter la règle et le compas, pour reprendre avec joie une plume fidèle et bien taillée.
Ainsi, il mit au jour ces livres charmants le Roi Voltaire et le Quarante et unième Fauteuil, dont il écrivait l'histoire avec quarante plumes différentes. On voyait qu'avant d'écrire ces
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