Les Maîtres sonneurs | Page 7

George Sand
plus. L'homme était en train d'allégir le poids, en posant sur le chemin une partie de son chargement, ce que voyant mon père:
--Descends, me dit-il, et secourons le prochain dans l'embarras.
L'homme nous remercia de notre offre, et comme parlant à sa charrette:
--Allons, petite, éveille-toi, dit-il; j'aime autant que tu ne risques point de verser.
Alors, je vis se lever, de dessus un matelas, une jolie fille qui me parut avoir quinze ou seize ans, à première vue, et qui demanda, en se frottant les yeux, ce qu'il y avait de nouveau.
--Il y a que le chemin est mauvais, ma fille, dit le père en la prenant dans ses bras; viens, et ne te mets point les pieds dans l'eau; car vous saurez, dit-il à mon père, qu'elle est malade de fièvre pour avoir poussé trop vite en hauteur; voyez quelle grande vigne folle, pour une enfant d'onze ans et demi!
--Vrai Dieu, dit mon père, voilà un beau brin de fille, et jolie comme un jour, encore que la fièvre l'ait blêmie. Mais ?a passera, et avec un peu de nourriture, ?a ne sera pas d'une mauvaise défaite.
Mon père, parlant ainsi, avait la tête encore remplie du langage des maquignons en foire. Mais, voyant que la jeune fille avait laissé ses sabots sur la charrette, et qu'il n'était point aisé de les y retrouver, il m'appela, disant:
--Tiens, toi! tu es bien assez fort pour tenir cette petite un moment.
Et, la mettant dans mes bras, il attela notre jument à la place de l'ane bourdi, et sortit la charrette de ce mauvais pas. Mais il y en avait un second, que mon père connaissait pour avoir suivi plusieurs fois le chemin, et, me faisant appel de continuer, il marcha en avant avec l'autre paysan qui tirait son ane par les oreilles.
Je portais donc cette grande fillette et la regardais avec étonnement, car si elle avait la tête de plus que Brulette, on voyait bien, à sa figure, qu'elle n'était pas plus vieille.
Elle était blanche et menue comme un flambeau de cire vierge, et ses cheveux noirs, débordant d'un petit bonnet en mode étrangère, qui s'était dérangé dans son sommeil, me tombaient sur la poitrine et me pendaient quasiment jusqu'aux genoux. Je n'avais jamais rien vu de si bien achevé que son visage pale, ses yeux bleu-clair, bordés de soies très-épaisses, son air doux et fatigué, et mêmement un signe tout à fait noir qu'elle avait au coin de la bouche et qui rendait sa beauté très-étrange et difficile à oublier.
Elle semblait si jeune que mon coeur ne me disait rien à c?té du sien, et ce n'était peut-être pas tant son manque d'années que la langueur de sa maladie qui me la faisait para?tre si enfant. Je ne lui parlais point, et marchais toujours sans la trouver lourde, mais ayant du plaisir à la regarder, comme on en sent devant toute chose belle, que ce soit fille ou femme, fleur ou fruit.
Comme nous approchions de la seconde gane, où son père et le mien recommen?aient, l'un à tirer son cheval, l'autre a pousser sa roue, la fillette me parla en un langage qui me fit rire, vu que je n'en comprenais pas un mot. Elle s'étonna de mon étonnement, et, me parlant alors comme nous parlons:
--Ne vous ruinez pas le corps à me porter, dit-elle, je marcherai bien sans sabots: j'y suis aussi habituée que les autres.
--Oui, mais vous êtes malade, que je lui répondis, et j'en porterais bien quatre comme vous. Mais de quel pays êtes-vous donc, que vous parliez si dr?lement tout à l'heure?
--De quel pays! dit-elle. Je ne suis pas d'un pays. Je suis des bois, voilà tout. Et vous, de quel pays que vous êtes donc?
--Oh! ma fine, si vous êtes des bois, je suis des blés, que je lui répondis en riant.
J'allais cependant la questionner davantage quand son père vint me la reprendre.
--Allons, fit-il, après avoir donné une poignée de main à mon père, en vous remerciant, mes braves gens. Et toi, petite, embrasse donc ce bon gar?on qui t'a portée comme une chasse.
La fillette ne se fit point prier; elle n'était pas encore dans l'age de la honte, et, n'y entendant pas malice, elle n'y faisait point de fa?ons. Elle m'embrassa sur les deux joues, en me disant:
--Merci à vous, mon beau serviteur. Et, passant aux bras de son père, elle fut remise sur son matelas et parut pressée de reprendre son somme, sans aucun souci des cahots et des aventures du chemin.
--Encore adieu! nous dit son père, qui me prit le genou pour me replacer en croupe sur la jument. Un beau gar?on! fit-il à mon père, en me regardant, et aussi avancé dans l'age que vous dites qu'il a, que ma petite dans le sien.
--Il se sent bien aussi un peu d'en être malade, répondit
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