quelque chose au service des autres. Mais je me suis sentie engagée à t'élever, jusqu'à ce jour, ma Brulette, parce que tu étais la plus jeune, et parce qu'une fille a besoin plus longtemps d'une mère qu'un gar?on. Je n'aurais point eu le coeur de te laisser avant le temps où tu te pouvais passer de moi. Mais voilà que le temps est venu, et si quelque chose te doit reconsoler de me perdre, c'est que tu vas te sentir utile à ton grand-père. Je t'ai appris le ménagement d'une famille et tout ce qu'une bonne fille doit savoir pour le service de ses parents et de sa maison. Tu t'y emploieras pour l'amour de moi et pour faire honneur à l'instruction que je t'ai donnée. Ce sera ma consolation et ma fierté d'entendre dire à tout le monde que ma Brulette soigne dévotieusement son grand-père et gouverne son avoir comme ferait une petite femme. Allons, prends courage et ne me retire pas le peu qui m'en reste, car si tu as de la peine pour cette départie, j'en ai encore plus que toi. Songe que je quitte aussi le père Brulet, qui était pour moi le meilleur des amis, et mon pauvre Joset, qui va trouver sa mère et votre maison bien à dire. Mais puisque c'est par le commandement de mon devoir, tu ne m'en voudrais point détourner.
Brulette pleura encore jusqu'au soir, et fut hors d'état d'aider la Mariton en quoi que ce soit; mais, quand elle la vit cacher ses larmes tout en préparant le souper, elle se jeta encore, à son cou, lui jura d'observer ses paroles, et se mit à travailler aussi d'un grand courage.
On m'envoya quérir Joseph qui oubliait, non pour la première fois ni pour la dernière, l'heure de rentrer et de faire comme les autres.
Je le trouvai en un coin, songeant tout seul et regardant la terre, comme si ses yeux y eussent voulu prendre racine. Contre sa coutume, il se laissa arracher quelques paroles où je vis plus de mécontentement que de regret. Il ne s'étonnait point d'entrer en service, sachant bien qu'il était en age et ne pouvait faire autrement; mais, sans marquer qu'il e?t entendu les desseins de sa mère, il se plaignit de n'être aimé de personne, et de n'être estimé capable d'aucun bon travail.
Je ne le pus faire expliquer davantage, et, durant la veillée, où je fus retenu pour faire mes prières avec Brulette et lui, il parut bouder, tandis que Brulette redoublait de soins et de caresses pour tout son monde.
Joseph fut loué au domaine de l'Aulnières, chez le père Michel, en office de bouaron.
La Mariton entra comme servante à l'auberge du Boeuf couronné, chez Beno?t, de Saint-Chartier.
Brulette resta auprès de son grand-père, et moi chez mes parents qui, ayant un peu de bien, ne me trouvèrent pas de trop pour les aider à le cultiver.
Mon jour de première communion m'avait beaucoup secoué les esprits. J'y avais fait de gros efforts pour me ranger à la raison qui convenait à mon age, et le temps du catéchisme avec Brulette m'avait changé aussi. Son idée se trouvait toujours mêlée, je ne sais: comment, avec celle que je voulais donner au bon Dieu, et, tout en m?rissant à la sagesse dans ma conduite, je sentais ma tête s'en aller en des folletés d'amour, qui n'étaient point encore de l'age de ma cousine, et qui, mêmement pour le mien, devan?aient un peu trop la bonne saison.
Dans ce temps-là, mon père m'emmena à la foire d'Orval, du c?té de Saint-Amand, pour vendre une jument poulinière, et, pour la première fois de ma vie, je fus trois jours absent de la maison. Ma mère avait observé que je n'avais pas tant de sommeil et d'appétit qu'il m'en fallait pour soutenir mon cro?t, lequel était plus hatif qu'il n'est d'habitude en nos pays, et mon père pensait qu'un peu d'amusement me serait bon. Mais je n'en pris pas tant, à voir du monde et des endroits nouveaux, comme j'en aurais eu six mois auparavant. J'avais comme une languition sotte qui me faisait regarder toutes les filles sans oser leur dire un mot; et puis, je songeais à Brulette, que je m'imaginais pouvoir épouser, par la seule raison que c'était la seule qui ne me f?t point peur, et je ruminais le compte de ses années et des miennes, ce qui ne faisait pas marcher le temps plus vite que le bon Dieu ne l'avait réglé à son horloge.
Comme je revenais en croupe derrière mon père, sur une autre jument que nous avions achetée à la foire, nous f?mes rencontre, en un chemin creux, d'un homme entre les deux ages qui conduisait une petite charrette, très-chargée de mobilier, laquelle, n'étant tra?née que d'un ane, restait embourbée et ne pouvait faire un pas de
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