ardent sanglot qui roule
d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité!
LA MUSE VENALE
O Muse de mon coeur, amante des palais,
Auras-tu, quand Janvier
lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets?
Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui
percent les volets?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l'or des voûtes azurées?
Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Comme un enfant de
choeur, jouer de l'encensoir,
Chantes des Te Deum auxquels tu ne
crois guère,
Ou, saltimbanque à jeun, étaler les appas
Et ton rire trempé de pleurs
qu'on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.
L'ENNEMI
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé ça et là par de
brillants soleils;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage
Qu'il
reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la
pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où
l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol
lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?
--O douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi
qui nous ronge le coeur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie!
LA VIE ANTERIEURE
J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins
teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et
majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d'une façon
solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche
musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur,
des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés
d'odeurs,
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin
était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.
BOHEMIENS EN VOYAGE
La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route,
emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le
trésor toujours prêt des mamelles pendantes.
Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des
chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux
appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.
Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer,
redouble sa chanson;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour
lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.
L'HOMME ET LA MER
Homme libre, toujours tu chériras la mer!
La mer est ton miroir; tu
contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton
esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image;
Tu l'embrasses des yeux et
des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets,
Homme, nul n'a sondé
le fond de tes abîmes;
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous
combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la
mort,
O lutteurs éternels, ô frères implacables!
DON JUAN AUX ENFERS
Quand don Juan descendit vers l'onde souterraine,
Et lorsqu'il eut
donné son obole à Charon,
Un sombre mendiant, l'oeil fier comme
Antisthène,
D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.
Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se
tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de
victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long mugissement.
Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que don Luis avec
un doigt tremblant
Montrait à tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.
Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Près de l'époux
perfide et qui fui son amant
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.
Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait à la
barre et coupait le flot noir;
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.
CHATIMENT DE L'ORGUEIL
En ces temps merveilleux où la Théologie
Fleurit avec le plus de sève
et d'énergie,
On raconte qu'un jour un docteur des plus grands
--Après avoir forcé les coeurs indifférents,
Les avoir remués dans
leurs profondeurs noires;
Après avoir franchi vers les célestes gloires
Des chemins singuliers à lui-même inconnus,
Où les purs Esprits
seuls peut-être étaient venus,
--Comme un homme monté trop haut,
pris de panique,
S'écria, transporté d'un orgueil satanique:
« Jésus,
petit Jésus! je t'ai poussé bien haut!
Mais, si j'avais voulu t'attaquer au
défaut
De l'armure, ta honte égalerait ta gloire,
Et tu ne serais plus
qu'un foetus dérisoire! »
Immédiatement sa raison s'en alla.
L'éclat de ce soleil d'un crêpe se
voila;
Tout le chaos roula dans cette intelligence,
Temple autrefois
vivant, plein d'ordre et d'opulence.
Sous les plafonds
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