Les Femmes de la Révolution | Page 9

Jules Michelet
Il était parti le matin, comme à l'ordinaire, pour la chasse; il courait les bois de Meudon. On le cherchait; en attendant, on battait la générale; les gardes du corps montaient à cheval, sur la place d'armes, et s'adossaient à la grille; le régiment de Flandre, au-dessous, à leur droite, près de l'avenue de Sceaux; plus bas encore, les dragons; derrière la grille, les Suisses.
Cependant Maillard arrivait à l'Assemblée nationale. Toutes les femmes voulaient entrer. Il eut la plus grande peine à leur persuader de ne faire entrer que quinze des leurs. Elles se placèrent à la barre, ayant à leur tête le garde fran?aise dont on a parlé, une femme qui au bout d'une perche portait un tambour de basque, et, au milieu, le gigantesque huissier, en habit noir déchiré, l'épée à la main. Le soldat, avec pétulance, prit la parole, dit à l'Assemblée que le matin, personne ne trouvant de pain chez les boulangers, il avait voulu sonner le tocsin, qu'on avait failli le pendre, qu'il avait d? son salut aux dames qui l'accompagnaient. ?Nous venons, dit-il, demander du pain et la punition des gardes du corps qui ont insulté la cocarde... Nous sommes de bons patriotes; nous avons sur notre route arraché les cocardes noires... Je vais avoir le plaisir d'en déchirer une sous les yeux de l'Assemblée.?
à quoi l'autre ajouta gravement: ?Il faudra bien que tout le monde prenne la cocarde patriotique.? Quelques murmures s'élevèrent.
?Et pourtant nous sommes tous frères!? dit la sinistre figure.
Maillard faisait allusion à ce que la municipalité de Paris avait déclaré la veille: Que la cocarde tricolore ayant été adoptée comme signe de fraternité, elle était la seule que d?t porter le citoyen.
Les femmes impatientes criaient toutes ensemble: ?Du pain! du pain!?--Maillard commen?a alors à dire l'horrible situation de Paris, les convois interceptés par les autres villes, ou par les aristocrates. ?Ils veulent, dit-il, nous faire mourir. Un meunier a re?u deux cents livres pour ne pas moudre, avec promesse d'en donner autant par semaine.?--L'Assemblée: ?Nommez! nommez!?--C'était dans l'Assemblée même que Grégoire avait parlé de ce bruit qui courait; Maillard l'avait appris en route.
?Nommez!? Des femmes crièrent au hasard: ?C'est l'archevêque de Paris.?
Robespierre prit une grave initiative. Seul, il appuya Maillard, dit que l'abbé Grégoire avait parlé du fait, et sans doute donnerait des renseignements.
D'autres membres de l'Assemblée essayèrent des caresses ou des menaces. Un député du clergé, abbé ou prélat, vint donner sa main à baiser à l'une des femmes. Elle se mit en colère, et dit: ?Je ne suis pas faite pour baiser la patte d'un chien.? Un autre député, militaire, décoré de la croix de Saint-Louis, entendant dire à Maillard que le grand obstacle à la constitution était le clergé, s'emporta, et lui dit qu'il devrait subir sur l'heure une punition exemplaire. Maillard, sans s'épouvanter, répondit qu'il n'inculpait aucun membre de l'Assemblée, que sans doute le clergé ne savait rien de tout cela, qu'il croyait rendre service en leur donnant cet avis. Pour la seconde fois, Robespierre soutint Maillard, calma les femmes. Celles du dehors s'impatientaient, craignaient pour leur orateur; le bruit courait parmi elles qu'il avait péri. Il sortit, et se montra un moment.
Maillard, reprenant alors, pria l'Assemblée d'inviter les gardes du corps à faire réparation pour l'injure à la cocarde.--Des députés démentaient... Maillard insista en termes peu mesurés:--Le président Mounier le rappela au respect de l'Assemblée, ajoutant maladroitement que ceux qui voulaient être citoyens pouvaient l'être de leur plein gré... C'était donner prise à Maillard; il s'en saisit, répliqua: ?Il n'est personne qui ne doive être fier de ce nom de citoyen. Et, s'il était, dans cette auguste Assemblée, quelqu'un qui s'en f?t déshonneur, il devrait en être exclu.? L'Assemblée frémit, applaudit: ?Oui, nous sommes tous citoyens.?
à l'instant on apportait une cocarde aux trois couleurs, de la part des gardes du corps. Les femmes crièrent: ?Vive le roi! vivent messieurs les gardes du corps!? Maillard, qui se contentait plus difficilement, insista sur la nécessité de renvoyer le régiment de Flandre.
Mounier, espérant alors pouvoir les congédier, dit que l'Assemblée n'avait rien négligé pour les subsistances, le roi non plus; qu'on chercherait de nouveaux moyens, qu'ils pouvaient aller en paix.--Maillard ne bougeait, disant: ?Non, cela ne suffit pas.?
Un député proposa alors d'aller représenter au roi la position malheureuse de Paris. L'Assemblée le décréta, et les femmes, se prenant vivement à cette espérance, sautaient au cou des députés, embrassaient le président, quoi qu'il f?t. ?Mais où donc est Mirabeau? disaient-elles encore, nous voudrions bien voir notre comte de Mirabeau!?
Mounier, baisé, entouré, étouffé presque, se mit tristement en route avec la députation et une foule de femmes qui s'obstinaient à le suivre. ?Nous étions à pied dans la boue, dit-il; il pleuvait à verse. Nous traversions une foule mal vêtue, bruyante, bizarrement armée.? Des gardes du corps faisaient des patrouilles, et
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