ne fut pas la faim qui mena celle-ci à Versailles. Elle suivit l'entra?nement général, son bon coeur et son courage. Les femmes la mirent à la tête, et la firent leur orateur.
Il y en avait bien d'autres que la faim ne menait point. Il y avait des marchandes, des portières, des filles publiques, compatissantes et charitables, comme elles le sont souvent. Il y avait un nombre considérable de femmes de la halle; celles-ci fort royalistes, mais elles désiraient d'autant plus avoir le roi à Paris. Elles avaient été le voir quelque temps avant cette époque, je ne sais à quelle occasion; elles lui avaient parlé avec beaucoup de coeur, une familiarité qui fit rire, mais touchante, et qui révélait un sens parfait de la situation: ?Pauvre homme! disaient-elles en regardant le roi, cher homme! bon papa!?--Et plus sérieusement à la reine: ?Madame, madame, ouvrez vos entrailles!... ouvrons-nous!? Ne cachons rien, disons bien franchement ce que nous avons à dire.
Ces femmes des marchés ne sont pas celles qui souffrent beaucoup de la misère; leur commerce, portant sur les objets nécessaires à la vie, a moins de variations. Mais elles voient la misère mieux que personne, et la ressentent; vivant toujours sur la place, elles n'échappent pas, comme nous, au spectacle des souffrances. Personne n'y compatit davantage, n'est meilleur pour les malheureux. Avec des formes grossières, des paroles rudes et violentes, elles ont souvent un coeur royal, infini de bonté. Nous avons vu nos Picardes, les femmes du marché d'Amiens, pauvres vendeuses de légumes, sauver le père de quatre enfants qu'on allait guillotiner; c'était le moment du sacre de Charles X; elles laissèrent leur commerce, leur famille, s'en allèrent à Reims, elles firent pleurer le roi, arrachèrent la grace, et, au retour, faisant entre elles une collecte abondante, elles renvoyèrent sauvés, comblés, le père, la femme et les enfants.
Le 5 octobre, à sept heures, elles entendirent battre la caisse, et elles ne résistèrent pas. Une petite fille avait pris un tambour au corps de garde, et battait la générale. C'était lundi; les halles furent désertées, toutes partirent: ?Nous ramènerons, disent-elles, le boulanger, la boulangère... Et nous aurons l'agrément d'entendre notre petite mère Mirabeau.?
Les halles marchent, et, d'autre part, marchait le faubourg Saint-Antoine. Sur la route, les femmes entra?naient toutes celles qu'elles pouvaient rencontrer, mena?ant celles qui ne viendraient pas de leur couper les cheveux. D'abord, elles vont à la Ville. On venait d'y amener un boulanger qui, sur un pain de deux livres, donnait sept onces de moins. La lanterne était descendue. Quoique l'homme f?t coupable, de son propre aveu, la garde nationale le fit échapper. Elle présenta la ba?onnette aux quatre ou cinq cents femmes déjà rassemblées. D'autre part, au fond de la place, se tenait la cavalerie de la garde nationale. Les femmes ne s'étonnèrent point. Elles chargèrent la cavalerie, l'infanterie, à coups de pierres; on ne put se décider à tirer sur elles; elles forcèrent l'H?tel de Ville, entrèrent dans tous les bureaux. Beaucoup étaient assez bien mises, elles avaient pris une robe blanche pour ce grand jour. Elles demandaient curieusement à quoi servait chaque salle, et priaient les représentants des districts de bien recevoir celles qu'elles avaient amenées de force, dont plusieurs étaient enceintes, et malades peut-être de peur. D'autres femmes, affamées, sauvages, criaient: Du pain et des armes! Les hommes étaient des laches, elles voulaient leur montrer ce que c'était que le courage... Tous les gens de l'H?tel de Ville étaient bons à pendre, il fallait br?ler leurs écritures, leurs paperasses... Et elles allaient le faire, br?ler le batiment peut-être... Un homme les arrêta, un homme de taille très-haute, en habit noir, d'une figure sérieuse et plus triste que l'habit. Elles voulaient le tuer d'abord, croyant qu'il était de la Ville, disant qu'il était un tra?tre... Il répondit qu'il n'était pas tra?tre, mais huissier de son métier, l'un des vainqueurs de la Bastille. C'était Stanislas Maillard.
Dès le matin, il avait utilement travaillé dans le faubourg Saint-Antoine. Les volontaires de la Bastille, sous le commandement d'Hullin, étaient sur la place en armes; les ouvriers, qui démolissaient la forteresse, crurent qu'on les envoyait contre eux. Maillard s'interposa, prévint la collision. à la Ville, il fut assez heureux pour empêcher l'incendie. Les femmes promettaient même de ne point laisser entrer d'hommes; elles avaient mis leurs sentinelles armées à la grande porte. à onze heures, les hommes attaquent la petite porte qui donnait sous l'arcade Saint-Jean. Armés de leviers, de marteaux, de haches et de piques, ils forcent la porte, forcent les magasins d'armes. Parmi eux, se trouvait un garde fran?aise, qui le matin avait voulu sonner le tocsin, qu'on avait pris sur le fait; il avait, disait-il, échappé par miracle; les modérés, aussi furieux que les autres, l'auraient pendu sans les femmes, il montrait son cou sans cravate, d'où elles
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