Les Deux Gentilshommes de Vérone | Page 9

William Shakespeare
ma?tre et le service?--La marée! tu ne sais donc pas que si la mer était tarie, je la remplirais de mes larmes; et que si les vents étaient tombés, je pousserais le bateau avec mes soupirs?
PANTHINO.--Allons, partons, Launce; on m'a envoyé t'appeler.
LAUNCE.--Appelle-moi[32] comme tu voudras.
PANTHINO.--Veux-tu t'en aller?
LAUNCE.--Oui, je m'en vais.
(Ils sortent.)
[Note 31: Tail, queue, et tale conte, se prononcent de même.]
[Note 32: To call, appeler, chercher.]

SCèNE IV
Milan.--Appartement dans le palais du duc.
VALENTIN, SILVIE, THURIO et SPEED.
SILVIE.--Mon serviteur!
VALENTIN.--Ma ma?tresse!
SPEED.--Monsieur, le seigneur Thurio ne vous voit pas d'un bon oeil.
VALENTIN.--Oui, mon gar?on, c'est l'amour qui en est cause.
SPEED.--Pas l'amour qu'il a pour vous.
VALENTIN.--Alors celui qu'il a pour ma ma?tresse?
SPEED.--Il serait bon que vous le corrigeassiez.
SILVIE, _à Valentin_.--Mon serviteur, vous êtes triste.
VALENTIN.--Il est vrai que je le parais.
THURIO.--Paraissez-vous ce que vous n'êtes pas?
VALENTIN.--Cela est possible.
THURIO.--Vous vous contrefaites donc?
VALENTIN.--Comme vous.
THURIO.--En quoi parais-je ce que je ne suis pas?
VALENTIN.--Sage.
THURIO.--Quelle preuve avez-vous du contraire?
VALENTIN.--Votre folie.
THURIO.--Et où trouvez-vous ma folie?
VALENTIN.--Je la trouve dans votre pourpoint[33].
[Note 33: To quote, citer, et coat, habit, se prononcent de même.]
THURIO.--Mon pourpoint est un doublé.
VALENTIN.--Eh bien! je doublerai votre folie.
THURIO.--Comment?
SILVIE.--Quoi, vous êtes faché, seigneur Thurio? Vous changez de couleur.
VALENTIN.--Laissez-le faire, madame, c'est une espèce de _caméléon_.
THURIO.--Qui a beaucoup plus d'envie de vivre de votre sang que de votre air.
VALENTIN.--Vous avez dit, monsieur?
THURIO.--Oui, monsieur, et fini aussi pour cette fois.
VALENTIN.--Je le sais, monsieur; vous avez toujours fini avant de commencer.
SILVIE.--Une jolie volée de paroles, messieurs, et vivement tuées.
VALENTIN.--Cela est vrai, madame, et nous en remercions la donneuse.
SILVIE.--Et qui est-ce, mon serviteur?
VALENTIN.--Vous-même, madame, car vous nous avez donné le feu. M. Thurio emprunte son esprit aux regards de Votre Seigneurie, et il dépense gracieusement ce qu'il emprunte en votre compagnie.
THURIO.--Monsieur, si vous dépensiez avec moi parole pour parole, j'aurais bient?t fait faire banqueroute à votre esprit.
VALENTIN.--Je le sais bien, monsieur; vous tenez une banque de paroles, et c'est, je pense, la seule monnaie dont vous payez vos gens; car il para?t, à leur livrée rapée, qu'ils ne vivent que de paroles toutes sèches.
SILVIE.--C'en est assez, messieurs, c'en est assez; voici mon père.
(Le duc entre.)
LE DUC.--Eh bien! Silvia, ma fille, te voilà serrée de bien près, te voilà fortement assiégée.--Seigneur Valentin, votre père est en bonne santé. Que diriez-vous à la lettre d'un de vos amis qui vous annonce de très-bonnes nouvelles?
VALENTIN.--Monseigneur, je serai reconnaissant envers tout messager venu de là qui m'apportera de bonnes nouvelles.
LE DUC.--Connaissez-vous don Antonio, votre compatriote?
VALENTIN.--Oui, mon bon seigneur; je le connais pour un gentilhomme de considération et d'une grande réputation, et son mérite n'est point au-dessous de sa grande réputation.
LE DUC.--N'a-t-il pas un fils?
VALENTIN.--Oui, monseigneur, et un fils qui mérite bien l'estime et l'honneur d'un tel père.
LE DUC.--Vous le connaissez bien.
VALENTIN.--Je le connais comme moi-même, car dès la plus tendre enfance nous avons été liés et nous avons passé nos jours ensemble. Pour moi, je n'ai jamais été qu'un paresseux qui perdais le précieux bienfait du temps, au lieu de revêtir ma jeunesse de célestes perfections. Mais pour Protéo (car c'est ainsi qu'on le nomme), il fait le plus digne usage de ses journées. Il est très-jeune d'années, mais il est vieux d'expérience. Sa tête n'est point encore m?rie par le temps, mais son jugement est m?r; en un mot (car son mérite est au-dessus de tous mes éloges), il est accompli de personne et d'esprit, avec toute la bonne grace qui peut orner un gentilhomme.
LE DUC.--Vraiment, seigneur Valentin, s'il tient ce que vous promettez, il est aussi digne d'être l'amant d'une impératrice que propre à être le conseiller d'un empereur. Eh bien! monsieur, ce gentilhomme vient d'arriver à ma cour, recommandé par de grands seigneurs, et il se propose de passer ici quelque temps. Je pense que ce n'est pas là pour vous une nouvelle désagréable.
VALENTIN.--Si j'avais souhaité quelque chose, c'e?t été lui.
LE DUC.--Recevez-le donc comme il le mérite, Silvie, et vous, seigneur Thurio, c'est à vous que je parle; car pour Valentin je n'ai pas besoin de l'y exhorter. Je vais vous l'envoyer tout à l'heure.
VALENTIN.--C'est ce gentilhomme dont je vous ai dit, mademoiselle, qu'il serait venu avec moi, si les beaux yeux de sa ma?tresse n'avaient encha?né les siens.
SILVIE.--Apparemment qu'elle leur a rendu la liberté, sur quelque autre gage de sa foi.
VALENTIN.--Non certainement, je crois qu'elle les retient encore prisonniers.
SILVIE.--Il serait donc aveugle, et s'il l'était, comment pourrait-il trouver son chemin pour vous chercher?
VALENTIN.--Oh! madame, l'Amour a vingt paires d'yeux.
THURIO.--On dit que l'Amour n'en a pas même un.
VALENTIN.--Pour voir des amants comme vous, Thurio. L'Amour ferme les yeux sur les objets désagréables.
(Arrive Protéo.)
SILVIE.--Finissons, finissons donc, voici le gentilhomme.
VALENTIN.--Sois le bienvenu, cher Protéo. Ma?tresse, je vous en conjure, témoignez-lui qu'il est le bienvenu, par quelque faveur particulière.
SILVIE.--Son mérite est garant qu'il sera bien accueilli, si c'est celui dont vous avez tant de fois désiré des nouvelles.
VALENTIN.--Ma?tresse, c'est lui-même. Noble dame, permettez-lui de servir avec moi Votre Seigneurie.
SILVIE.--Je
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