Les Contemporains, 7ème Série | Page 7

Jules Lemaître
Il n'y faut point songer. De qui?
?Et alors, quelle créance peut-on donner à cette affirmation?
?Une notice de M. Ch. de Comberousse, placée en tête de la Correspondance de Clément XIV et de C. Bertinazzi, par Latouche (Paris, Michel Lévy, 1867), nous apprend que Hyacinthe-Joseph-Alexandre Chabaud de Latouche est né le 3 février 1785. Il épousa en 1807, à l'age de vingt-trois ans, Mlle de Comberousse, fille du président du Conseil des Anciens: ce fut un mariage d'amour. De ce mariage naquit un fils que Latouche adorait.
?Admettez-vous que Marceline Desbordes se soit donnée à un homme marié? Non, n'est-ce pas?
?Autre chose: j'ai eu entre les mains une lettre non signée et sans date, émanant évidemment de Marceline; le style et l'écriture ne laissaient aucun doute. Cette lettre était adressée à un Olivier. Qu'était cet Olivier? Un nom de convention sans doute. La question, posée dans l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux l'année dernière, est restée sans réponse.
?Et, après tout, qu'importe de conna?tre ce nom??
Les fragments que M. Rivière a bien voulu m'envoyer sont du plus vif intérêt. Il est impossible, après avoir lu ces lettres, de croire que Latouche ait jamais été pour Marceline autre chose qu'un ami, à moins de prêter à cette noble femme une puissance diabolique de dissimulation.
Et voici un autre argument, accessoire, mais assez fort. Sans doute, ?Joseph? était un des prénoms de Latouche, et ?Josèphe? un des prénoms de Mlle Desbordes; mais ce n'étaient point ceux dont on les appelait ni qui leur servaient de signature. J'avais supposé bénévolement qu'un hasard ou le caprice d'une conversation tendre, les avait amenés à se révéler mutuellement la liste complète de leurs prénoms respectifs et qu'ils s'étaient réjouis entre eux d'une co?ncidence dont les archives de l'état civil dérobaient le secret au public. Vaine hypothèse! Car, dans la pièce où Mme Valmore nous dit que son nom était écrit dans le nom de son amant, je trouve ce vers:
On ne peut m'appeler sans t'annoncer à moi.
Or, on ne l'appelait jamais que Marceline. Alors?...
Et c'est pourquoi je suis tenté d'en revenir à ma première hypothèse et de troubler de nouveau les manes paisibles de M. de Marcellus. Tout, ici, concorde assez bien avec le peu que nous savons de l'infidèle. L'age d'abord: M. de Marcellus aurait eu trente-cinq ans quand il rencontra notre amie. Il devait venir au théatre Feydeau; il était ?homme du monde? et il était ?poète.? Ami de Chateaubriand, et auteur de Cantates sacrées, imbu, sans doute par snobisme, de ce christianisme vague que nous avons vu revenir à la mode ces années-ci, il devait donner aisément dans un pathos idéaliste, propre à séduire la sentimentale comédienne. Non, vraiment, rien ne s'oppose, que je sache, à ce que ce gentilhomme lettré ait été le Marcellus de Marceline. Je me hate d'ajouter, pour couper court aux réclamations possibles, que rien ne démontre non plus qu'il l'ait été. C'est une impression que je donne. Et M. Sardou la partage, de quoi je ne suis pas médiocrement fier.
Quant au mystérieux ?Olivier? signalé par M. Rivière... on pourrait voir s'il n'y aurait pas, dans les oeuvres du comte de Marcellus, quelque chose qui expliquerait le choix que fit Marceline de ce ?nom de convention.? Ou peut-être est-ce un nom emprunté à quelque roman du temps? ou tout bonnement pris au hasard?...
Et ne dites point: ?Le gaillard était peut-être un inconnu, qui n'avait de talent qu'aux yeux de Marceline, ou dont le talent était ignoré des contemporains; un obscur amateur dont l'histoire n'a pas gardé le souvenir.? Non, c'était un homme qui eut quelque notoriété en son temps, et dont le nom a été presque s?rement enregistré par les Bouillet, les Dezobry et les Vapereau; témoin ces mauvais vers de sa triste ma?tresse:
Je le lisais partout, ce nom rempli de charmes... D'un éloge enchanteur toujours environné, à mes yeux éblouis il s'offrait couronné...
... C'est bête, tout de même, de se donner tant de mal pour découvrir le mot d'une énigme qu'il importe si peu de débrouiller. Je suis évidemment, depuis quinze jours, dans un ?état d'ame? approchant de celui de l'OEdipe du café de l'Univers, au Mans.
On m'a reproché de divers c?tés d'avoir, dans mon premier article, parlé du ménage Valmore avec ironie. On a eu tort. L'ironie n'est exclusive ni du respect, ni de la sympathie, ni même de l'admiration. J'ai peur de m'être, à moi-même, mon ami le plus cher, c'est-à-dire d'être comme tout le monde; or il m'arrive assez souvent, je vous assure, de mêler de l'ironie aux jugements intimes que je porte sur moi. Exigerez-vous que je traite les autres encore mieux que je ne me traite moi-même!
Au surplus, si, considérant surtout Marceline, comédienne retirée, dans ses rapports avec son mari, tragédien en exercice, j'ai pu sourire un peu tout en l'aimant bien,--absolvant aujourd'hui en bloc les candides
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