sans jamais t'arrêter, avec les dents et les
ongles à la fois. Je parerai mon corps de guirlandes embaumées, pour
cet holocauste expiatoire; et nous souffrirons tous les deux, moi, d'être
déchiré, toi, de me déchirer ... ma bouche collée à ta bouche. O
adolescent, aux cheveux blonds, aux yeux si doux, feras-tu maintenant
ce que je te conseille? Malgré toi, je veux que tu le fasses, et tu rendras
heureuse ma conscience.» Après avoir parlé ainsi, en même temps tu
auras fait du mal à un être humain, et tu seras aimé du même être: c'est
le bonheur le plus grand que l'on puisse concevoir. Plus tard, tu pourras
le mettre à l'hôpital; car, le perclus ne pourra pas gagner sa vie. On
t'appellera bon, et les couronnes de laurier et les médailles d'or
cacheront tes pieds nus, épars sur la grande tombe, à la figure vieille, O
toi, dont je ne veux pas écrire le nom sur cette page qui consacre la
sainteté du crime, je sais que ton pardon fut immense comme l'univers.
Mais, moi, j'existe encore!
* * * * *
J'ai fait un pacte avec la prostitution afin de semer le désordre dans les
familles. Je me rappelle la nuit qui précéda cette dangereuse liaison. Je
vis devant moi un tombeau. J'entendis un ver luisant, grand comme une
maison, qui me dit: «Je vais t'éclairer. Lis l'inscription. Ce n'est pas de
moi que vient cet ordre suprême.» Une vaste lumière couleur de sang, à
l'aspect de laquelle mes mâchoires claquèrent et mes bras tombèrent
inertes, se répandit dans les airs jusqu'à l'horizon. Je m'appuyai contre
une muraille en ruine, car j'allais tomber, et je lus: «Ci-gît un
adolescent qui mourut poitrinaire: vous savez pourquoi. Ne priez pas
pour lui.» Beaucoup d'hommes n'auraient peut-être pas eu autant de
courage que moi. Pendant ce temps, une belle femme nue vint se
coucher à mes pieds. Moi, à elle, avec une figure triste: «Tu peux te
relever.» Je lui tendis la main avec laquelle le fratricide égorge sa soeur.
Le ver luisant, à moi: «Toi, prends une pierre et tue-la;--Pourquoi? lui
dis-je.» Lui, à moi: «Prends garde à toi; le plus faible, parce que je suis
le plus fort. Celle-ci s'appelle Prostitution.» Les larmes dans les yeux,
la rage dans le coeur, je sentis naître en moi une force inconnue. Je pris
une grosse pierre; après bien des efforts, je la soulevai avec peine
jusqu'à la hauteur de ma poitrine; je la mis sur l'épaule avec les bras. Je
gravis une montagne jusqu'au sommet: de là, j'écrasai le ver luisant. Sa
tête s'enfonça sous le sol d'une grandeur d'homme; la pierre rebondit
jusqu'à la hauteur de six églises. Elle alla retomber dans un lac, dont les
eaux s'abaissèrent un instant, tournoyantes, en creusant un immense
cône renversé. Le calme reparut à la surface; la lumière de sang ne
brilla plus. «Hélas! hélas! s'écria la belle femme nue; qu'as-tu fait?»
Moi, à elle: «Je te préfère à lui; parce que j'ai pitié des malheureux. Ce
n'est pas ta faute, si la justice éternelle t'a créée.» Elle, à moi: «Un jour,
les hommes me rendront justice; je ne t'en dis pas davantage.
Laisse-moi partir, pour aller cacher au fond de la mer ma tristesse
infinie. Il n'y a que toi et les monstres hideux qui grouillent dans ces
noirs abîmes, qui ne me méprisent pas. Tu es bon. Adieu, toi qui m'as
aimée!» Moi, à elle: «Adieu! Encore une fois: adieu! Je t'aimerai
toujours!... Dès aujourd'hui, j'abandonne la vertu.» C'est pourquoi, ô
peuples, quand vous entendrez le vent d'hiver gémir sur la mer et près
de ses bords, ou au-dessus des grandes villes, qui, depuis longtemps,
ont pris le deuil pour moi, ou à travers les froides régions polaires, dites:
«Ce n'est pas l'esprit de Dieu qui passe: ce n'est que le soupir aigu de la
prostitution, uni avec les gémissements graves du Montévidéen.»
Enfants, c'est moi qui vous le dis. Alors, pleins de miséricorde,
agenouillez-vous; et que les hommes, plus nombreux que les poux,
fassent de longues prières.
* * * * *
Au clair de la lune, près de la mer, dans les endroits isolés de la
campagne, l'on voit, plongé dans d'amères réflexions, toutes les choses
revêtir des formes jaunes, indécises, fantastiques. L'ombre des arbres,
tantôt vite, tantôt lentement, court, vient, revient, par diverses formes,
en s'aplatissant, en se collant contre la terre. Dans le temps, lorsque
j'étais emporté sur les ailes de la jeunesse, cela me faisait rêver, me
paraissait étrange; maintenant, j'y suis habitué. Le vent gémit à travers
les feuilles ses notes langoureuses, et le hibou chante sa grave
complainte, qui fait dresser les cheveux à ceux qui l'entendent. Alors,
les chiens, rendus furieux, brisent leurs chaînes, s'échappent des fermes
lointaines; ils courent dans la campagne,
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