cinq, la belle affaire:
après avoir réfléchi beaucoup, je confesse qu'elle m'a paru remplie
d'une notable quantité d'importance nulle ...»
L'extrême jeunesse de l'auteur atténuera sans doute la sévérité de
certains jugements qui ne manqueront pas d'être portés sur les Chants
de Maldoror. Si Ducasse avait vécu, il eût pu devenir l'une des gloires
littéraires de la France. Il est mort trop tôt, laissant derrière lui son
oeuvre éparpillée aux quatre vents: et par une coïncidence curieuse, ses
restes mortels ont subi le même sort que son livre. Inhumé dans une
concession temporaire du cimetière du Nord, le 25 novembre 1870, il
en a été exhumé, le 20 janvier 1871, pour être réinhumé dans une autre
concession temporaire. Il se trouve actuellement dans les terrains
désaffectés et repris par la Ville.
L. G.
Notes:
[1] La couverture et le titre sont ainsi composés: _Les Chants--de
--Maldoror--par--le comte de Lautréamont--(Chants I, II, III, IV, V, VI)
--Paris et Bruxelles--En vente chez tous les libraires--1874_. Au
dessous de la couverture, dans le double filet, cette mention: _Tous
droits de traduction et de reproduction réservés_. Au verso du faux-titre:
_Bruxelles--Typ. de E. Wittmann_. Cette dernière indication est fausse,
aucun imprimeur du nom de Wittmann n'ayant existé à Bruxelles.
Couverture brun-marron.
En 1869, l'auteur témoigna le désir de posséder quelques exemplaires
de son livre; on lui en brocha une dizaine. La couverture de ces
exemplaires est jaune. Elle porte: _Paris. En vente chez tous les
libraires (1869)_. Au verso du faux-titre et en quatrième page de la
couverture: _Bruxelles. Imprimerie de A. Lacroix, Verboeckhoven et
Cie, boulevard de Waterloo, 42_.
[2] _V. la Plume_, 2e année, no 33.
[3] La photogravure a rétabli le chiffre à sa place. Celui-ci se trouve en
quatrième page de la lettre, barré par un trait de plume.
LES CHANTS DE MALDOROR
CHANT PREMIER
Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce
comme ce qu'il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et
sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et
pleines de poison; car, à moins qu'il n'apporte dans sa lecture une
logique rigoureuse et une tension d'esprit égale au moins à sa défiance,
les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme, comme l'eau
le sucre. Il n'est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre;
quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par
conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles
landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. Écoute
bien ce que je te dis: dirige tes talons en arrière et non en avant, comme
les yeux d'un fils qui se, détourne respectueusement de la
contemplation auguste de la face maternelle; ou, plutôt, comme un
angle à perte de vue de grues frileuses méditant beaucoup, qui, pendant
l'hiver, vole puissamment à travers le silence, toutes voiles tendues,
vers un point déterminé de l'horizon, d'où tout à coup part un vent
étrange et fort, précurseur de la tempête. La grue la plus vieille et qui
forme à elle seule l'avant-garde, voyant cela, branle la tête comme une
personne raisonnable, conséquemment son bec aussi qu'elle fait claquer,
et n'est pas contente (moi, non plus, je ne le serais pas à sa place),
tandis que son vieux cou, dégarni de plumes et contemporain de trois
générations de grues, se remue en ondulations irritées qui présagent
l'orage qui s'approche de plus en plus. Après avoir de sang-froid
regardé plusieurs fois de tous les côtés avec des yeux qui renferment
l'expérience, prudemment, la première (car, c'est elle qui a le privilége
de montrer les plumes de sa queue aux autres grues inférieures en
intelligence), avec son cri vigilant de mélancolique sentinelle, pour
repousser l'ennemi commun, elle vire avec flexibilité la pointe de la
figure géométrique (c'est peut-être un triangle, mais on ne voit pas le
troisième côté que forment dans l'espace ces curieux oiseaux de
passage), soit à bâbord, soit à tribord, comme un habile capitaine; et,
manoeuvrant avec des ailes qui ne paraissent pas plus grandes que
celles d'un moineau, parce qu'elle n'est pas bête, elle prend ainsi un
autre chemin philosophique et plus sûr.
* * * * *
Lecteur, c'est peut-être la haine que tu veux que j'invoque dans le
commencement de cet ouvrage! Qui te dit que tu n'en renifleras pas,
baigné dans d'innombrables voluptés, tant que tu voudras, avec tes
narines orgueilleuses, larges et maigres, en te renversant de ventre,
pareil à un requin, dans l'air beau et noir, comme si tu comprenais
l'importance de cet acte et l'importance non moindre de ton appétit
légitime, lentement et majestueusement, les rouges émanations? Je
t'assure, elles réjouiront les deux trous informes de ton museau hideux,
ô monstre, si toutefois tu t'appliques auparavant à respirer trois mille
fois de suite
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.