Les Aventures de John Davys | Page 3

Alexandre Dumas, père
immenses, ses îles grandes
comme des continents et ses continents qui sont des mondes. Il
parcourut en soupirant toutes ces vastes chambres, sur le parquet
desquelles résonnait tristement sa jambe de bois s’arrêtant aux fenêtres
de chaque face, afin de faire connaissance avec les quatre points
cardinaux de sa propriété, et, suivi de Tom, qui cachait son étonnement
à la vue de tant de richesses inconnues à lui jusqu’alors sous un dédain
superbe et affecté. Lorsque l’inspection, qui s’était faite dans le plus
grand silence, fut terminée, sir Édouard se retourna vers son
compagnon, et, appuyant ses deux mains sur sa canne :
– Eh bien, Tom, lui dit-il, que penses-tu de tout cela ?
– Ma foi, mon commandant, répondit Tom pris à l’improviste, je pense
que l’entrepont est assez propre ; reste à savoir maintenant si la cale est
aussi bien tenue.
– Oh ! M. Sanders ne me paraît pas homme à avoir négligé une partie
aussi importante de la cargaison. Descends, Tom, descends, mon brave,
et assure toi de cela. Je vais t’attendre ici, moi.
– Diable ! fit Tom, c’est que je ne sais pas où sont les écoutilles.
– Si monsieur veut que je le conduise ? dit une voix qui parlait de la
chambre voisine.
– Et qui es-tu, toi ? dit sir Édouard en se retournant.

– Je suis le valet de chambre de monsieur, répondit la voix.
– Alors, avance à l’ordre.
Un grand gaillard, vêtu d’une livrée simple mais de bon goût, parut
aussitôt sur la porte.
– Qui t’a engagé à mon service ? continua sir Édouard.
– M. Sanders.
– Ah ! ah ! Et que sais-tu faire ?
– Je sais raser, coiffer, fourbir les armes, enfin tout ce qui concerne le
service d’un honorable officier comme l’est Votre Seigneurie.
– Et où as-tu appris toutes ces belles choses ?
– Auprès du capitaine Nelson.
– Tu t’es embarqué ?
– Trois ans à bord du Boreas.
– Et où diable Sanders a-t-il été te déterrer ?
– Lorsque le Boreas a été désarmé, le capitaine Nelson s’est retiré dans
le comté de Norfolk, et, moi, je suis revenu à Nottingham, où je me suis
marié.
– Et ta femme ?
– Elle est au service de Votre Seigneurie.
– De quel département est-elle chargée ?
– Elle a la surveillance de la lingerie et de la basse cour.
– Et qui est à la tête de la cave ?

– Avec la permission de Votre Seigneurie, M. Sanders a jugé le poste
trop important pour en disposer en votre absence.
– Mais c’est un homme impayable, que M. Sanders ! Entends-tu, Tom ?
la direction de la cave est vacante.
– J’espère, répondit Tom avec un léger mouvement d’inquiétude, que
ce n’est pas parce qu’elle est vide ?
– Monsieur peut s’en assurer, dit le valet de chambre.
– Et, avec la permission du commandant, s’écria Tom, c’est ce que je
m’en vais faire.
Sir Édouard fit signe à Tom qu’il lui donnait congé pour cette
importante mission, et le digne matelot suivit le valet de chambre.
CHAPITRE II
C’est à tort que Tom avait conçu des craintes : la partie du château qui
était en ce moment l’objet de son inquiète curiosité avait été
approvisionnée par le même esprit prévoyant qui avait présidé à
l’arrangement de toute la maison. Dès le premier caveau, Tom, qui était
expert en pareille matière, reconnut, dans la disposition des récipients,
une intelligence supérieure : selon que les qualités ou âge du vin
l’exigeaient, les bouteilles étaient debout ou couchées ; mais toutes
étaient pleines, et des étiquettes, écrites sur des cartes et clouées au
bout d’un petit bâton fiché en terre, indiquant l’année et le cru,
servaient de bannières à ces différents corps d’armée, rangés dans un
ordre qui faisait le plus grand honneur aux connaissances stratégiques
du digne M. Sanders. Tom fit entendre un murmure d’approbation, qui
prouvait qu’il était digne d’apprécier ces savantes dispositions ; et,
voyant qu’auprès de chaque tas une bouteille était placée comme
échantillon, il fit main basse sur trois de ces sentinelles perdues, avec
lesquelles il reparut devant son commandant.
Il le retrouva assis devant une fenêtre de l’appartement qu’il avait
choisi pour le sien, et qui donnait sur le lac dont nous avons déjà parlé.

L’aspect de cette pauvre petite étendue d’eau, qui brillait comme un
miroir dans le vert encadrement de la prairie, avait rappelé au capitaine
tous ses vieux souvenirs et tous ses regrets ; mais, au bruit que fit Tom
en ouvrant la porte, il se retourna, et, comme s’il eût été humilié d’être
surpris ainsi pensif et les larmes aux yeux, il secoua vivement la tête en
faisant entendre une espèce de toux qui lui était habituelle, lorsqu’il
prenait le dessus
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