Leone Leoni | Page 9

George Sand
la paix profonde o�� j'avais toujours v��cu. Je ne vous dirai pas avec les m��mes d��tails ce qui se passa les jours suivants. Je ne m'en souviens pas aussi bien, et le commencement de la passion inapaisable que je con?us pour lui m'appara?t toujours comme un r��ve bizarre o�� ma raison ne peut mettre aucun ordre. Ce qu'il y a de certain, c'est que Leoni se montra piqu��, surpris et atterr�� par ma froideur, et qu'il me traita sur-le-champ avec un respect qui satisfit mon orgueil bless��. Je le voyais tous les jours, dans les f��tes ou �� la promenade, et mon ��loignement pour lui s'��vanouissait vite devant les soins extraordinaires et les humbles pr��venances dont il m'accablait. En vain ma tante essayait de me mettre en garde contre la morgue dont elle l'accusait; je ne pouvais plus me sentir offens��e par ses mani��res ou ses paroles; sa figure m��me avait perdu cette arri��re-pens��e de sarcasme qui m'avait choqu��e d'abord. Son regard prenait de jour en jour une douceur et une tendresse inconcevables. Il ne semblait occup�� que de moi seule; et, sacrifiant son go?t pour les cartes, il passait les nuits enti��res �� faire danser ma m��re et moi, ou �� causer avec nous. Bient?t il fut invit�� �� venir chez nous. Je redoutais un peu cette visite; ma tante me pr��disait qu'il trouverait dans notre int��rieur mille sujets de raillerie dont il ferait semblant de ne pas s'apercevoir, mais qui lui fourniraient �� rire avec ses amis. Il vint, et, pour surcro?t de malheur, mon p��re, qui se trouvait sur le seuil de sa boutique, le fit entrer par l�� dans la maison. Cette maison, qui nous appartenait, ��tait fort belle, et ma m��re l'avait fait d��corer avec un go?t exquis; mais mon p��re, qui ne se plaisait que dans les occupations de son commerce, n'avait point voulu transporter sous un autre toit l'��talage de ses perles et de ses diamants. C'��tait un coup d'oeil magnifique que ce rideau de pierreries ��tincelantes derri��re les grands panneaux de glace qui le prot��geaient, et mon p��re disait avec raison qu'il n'��tait pas de d��coration plus splendide pour un rez-de-chauss��e. Ma m��re, qui n'avait eu jusque-l�� que des ��clairs d'ambition pour se rapprocher de la noblesse, n'avait jamais ��t�� choqu��e de voir son nom grav�� en larges lettres de strass au-dessous du balcon de sa chambre �� coucher. Mais lorsque, de ce balcon, elle vit Leoni franchir le seuil de la fatale boutique, elle nous crut perdues, et me regarda avec anxi��t��.

V.
Dans le peu de jours qui avaient pr��c��d�� celui-l��, j'avais eu la r��v��lation d'une fiert�� inconnue. Je la sentis se r��veiller, et, pouss��e par un mouvement irr��sistible, je voulus voir de quel air Leoni faisait la conversation au comptoir de mon p��re. Il tardait �� monter, et je supposais avec raison que mon p��re l'avait retenu pour lui montrer, selon sa na?ve habitude, les merveilles de son travail. Je descendis r��solument �� la boutique, et j'y entrai en feignant quelque surprise d'y trouver Leoni. Cette boutique m'��tait interdite en tout temps par ma m��re, dont la plus grande crainte ��tait de me voir passer pour une marchande. Mais je m'��chappais quelquefois pour aller embrasser mon pauvre p��re, qui n'avait pas de plus grande joie que de m'y recevoir. Lorsqu'il me vit entrer, il fit une exclamation de plaisir et dit �� Leoni:--Tenez, tenez, monsieur le baron, je vous montrais peu de chose; voici mon plus beau diamant. La figure de Leoni trahit une ��motion d��licieuse; il sourit �� mon p��re avec attendrissement, et �� moi avec passion. Jamais un tel regard n'��tait tomb�� sur le mien. Je devins rouge comme le feu. Un sentiment de joie et de tendresse inconnue amena une larme au bord de ma paupi��re pendant que mon p��re m'embrassait au front.
Nous restames quelques instants sans parler, et Leoni, relevant la conversation, trouva le moyen de dire �� mon p��re tout ce qui pouvait flatter son amour-propre d'artiste et de commer?ant. Il parut prendre un extr��me plaisir �� lui faire expliquer par quel travail on tirait les pierres pr��cieuses d'un caillou brut, pour leur donner l'��clat et la transparence. Il dit lui-m��me �� ce sujet des choses int��ressantes; et, s'adressant �� moi, il me donna quelques d��tails min��ralogiques �� ma port��e. Je fus confondue de l'esprit et de la grace avec lesquels il savait relever et ennoblir notre condition �� nos propres yeux. Il nous parla de travaux d'orf��vrerie qu'il avait eu l'occasion de voir dans ses voyages, et nous vanta surtout les oeuvres de son compatriote Cellini, qu'il pla?a pr��s de Michel-Ange. Enfin, il attribua tant de m��rite �� la profession de mon p��re et donna tant d'��loges �� son talent, que je me demandais presque si j'��tais la fille d'un ouvrier laborieux ou d'un homme
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