Leone Leoni | Page 7

George Sand
peignais l'aquarelle avec une nettet�� et une fra?cheur admirables; mais il n'y avait en moi aucune ��tincelle de ce feu sacr�� qui donne la vie et qui la fait comprendre. Je ch��rissais mes parents, mais je ne savais pas ce que c'��tait qu'aimer plus ou moins. Je r��digeais �� merveille une lettre �� quelqu'une de mes jeunes amies; mais je ne savais pas plus la valeur des expressions que celle des sentiments. Je les aimais par habitude, j'��tais bonne envers elles par obligeance et par douceur, mais je ne m'inqui��tais pas de leur caract��re; je n'examinais rien. Je ne faisais aucune distinction raisonn��e entre elles; celle que j'aimais le plus ��tait celle qui venait me voir le plus souvent.

IV.
J'��tais ainsi et j'avais seize ans lorsque Leoni vint �� Bruxelles. La premi��re fois que je le vis, ce fut au th��atre. J'��tais avec ma m��re dans une loge, assez pr��s du balcon, o�� il ��tait avec les jeunes gens les plus ��l��gants et les plus riches. Ce fut ma m��re qui me le fit remarquer. Elle ��tait sans cesse �� l'aff?t d'un mari pour moi et le cherchait parmi les hommes qui avaient la toilette la plus brillante et la taille la mieux prise; c'��tait tout pour elle. La naissance et la fortune ne la s��duisaient que comme les accessoires de choses plus importantes �� ses yeux, la tenue et les mani��res. Un homme sup��rieur sous un habit simple ne lui e?t inspir�� que du d��dain. Il fallait que son futur gendre e?t de certaines manchettes, une cravate irr��prochable, une tournure exquise, une jolie figure, des habits faits �� Paris, et cette esp��ce de bavardage insignifiant qui rend un homme adorable dans le monde.
Quant �� moi, je ne faisais aucune comparaison entre les uns ou les autres. Je m'en remettais aveugl��ment au choix de mes parents, et je ne d��sirais ni ne fuyais le mariage.
Ma m��re trouva Leoni charmant. Il est vrai que sa figure est admirablement belle, et qu'il a le secret d'��tre ais��, gracieux et anim�� sous ses habits et avec ses mani��res de dandy. Mais je n'��prouvai aucune de ces ��motions romanesques qui font pressentir la destin��e aux ames br?lantes. Je le regardai un instant pour ob��ir �� ma m��re, et je ne l'aurais pas regard�� une seconde fois, si elle ne m'y e?t forc��e par ses exclamations continuelles et par la curiosit�� qu'elle t��moigna de savoir son nom. Un jeune homme de notre connaissance, qu'elle appela pour le questionner, lui r��pondit que c'��tait un noble V��nitien, ami d'un des premiers n��gociants de la ville; qu'il paraissait avoir une immense fortune, et qu'il s'appelait Leone Leoni.
Ma m��re fut charm��e de cette r��ponse. Le n��gociant, ami de Leoni, donnait pr��cis��ment le lendemain une f��te o�� nous ��tions invit��s. L��g��re et cr��dule qu'elle ��tait, il lui suffit d'avoir appris superficiellement que Leoni ��tait riche et noble, pour jeter aussit?t les yeux sur lui. Elle m'en parla d��s le soir m��me, et me recommanda d'��tre jolie le lendemain. Je souris et m'endormis exactement �� la m��me heure que les autres soirs, sans que la pens��e de Leoni acc��l��rat d'une seconde les battements de mon coeur. On m'avait habitu��e �� entendre sans ��motion former de semblables projets. Ma m��re pr��tendait que j'��tais si raisonnable, qu'on ne devait pas me traiter comme un enfant. Ma pauvre m��re ne s'apercevait pas qu'elle ��tait elle-m��me bien plus enfant que moi.
Elle m'habilla avec tant de soin et de recherche, que je fus proclam��e la reine du bal; mais d'abord ce fut en pure perle: Leoni ne paraissait pas, et ma m��re crut qu'il ��tait d��j�� parti de Bruxelles. Incapable de mod��rer son impatience, elle demanda au ma?tre de la maison ce qu'��tait devenu son ami le V��nitien.
--Ah! dit M. Delpech, vous avez d��j�� remarqu�� mon V��nitien? Il jeta en souriant un coup d'oeil sur ma toilette, et comprit.--C'est un joli gar?on, ajouta-t-il, de haute naissance, et tr��s �� la mode �� Paris et �� Londres; mais je dois vous confesser qu'il est horriblement joueur, et que, si vous ne le voyez pas ici, c'est qu'il pr��f��re les cartes aux femmes les plus belles.
--Joueur! dit ma m��re, cela est fort vilain.
--Oh! reprit M. Delpech, c'est selon. Quand on en a le moyen!
--Au fait!... dit ma m��re; et cette observation lui suffit. Elle ne s'inqui��ta plus jamais de la passion de Leoni pour le jeu.
Peu d'instants apr��s ce court entretien, Leoni parut dans le salon o�� nous dansions. Je vis M. Delpech lui parler �� l'oreille en me regardant, et les yeux de Leoni flotter incertains autour de moi, jusqu'�� ce que, guid�� par les indications de son ami, il me d��couvrit dans la foule et s'approcha pour me mieux voir. Je compris en ce moment que mon r?le de fille �� marier ��tait un peu ridicule; car
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