Lenfer et le paradis de lautre monde | Page 9

Émile Chevalier
grabat, goûtent les
bienfaits du sommeil, cet avant-coureur du ciel qui apporte le repos
même à l'âme troublée.

Regardez-les.
Elle est couchée dans un coin, là où la neige s'est introduite et a mêlé à
la paille ses glaciales constellations. Sur elle, pauvre femme, le froid de
la nuit a jeté une mantille de frimas et souffle la bise pénétrante. Son
nourrisson est cramponné à sa poitrine et l'haleine du pauvre petit se
gèle en blanches concrétions le long de la chevelure de sa mère, qui
pend par mèches éparses, épaisses, roidies sur son front.
Elle tressaille, soulève la tête, et ses yeux injectés de sang sont tournés
vers la porte.
Elle écoute.
Mais tout est encore tranquille au dehors et, avec un profond soupir,
elle se laisse retomber et presse l'enfant contre, son coeur.
Elle tressaille encore, soulève de nouveau sa tête et la laisse choir sur le
grossier oreiller.
Son haleine est sifflante, ses yeux rouges et obscurcis; mais aussi,
durant cette longue et fatigante nuit, le sommeil n'a pas un seul moment
versé sur elle son baume réparateur.
Ellen est couchée à côté de sa mère.
Elle dort, mais d'un sommeil agité interrompu par la fièvre et le frisson;
ses dents s'entre-choquent; elle étire ses membres engourdis et pousse
des cris rauques, en demandant qu'on chasse la neige qui tombe sur son
corps demi-nu; elle ne jouit d'aucun repos, car son misérable lit est trop
froid, ses douleurs trop poignantes.
De l'autre côté est le petit voleur.
Souvent sa mère le couvre de baisers passionnés, car dans son sommeil
il demande, en suppliant, du pain.
Infortunée, cette prière la remplit de terreurs; elle soupire profondément,
et, tremblante, serre plus fort l'enfant contre son sein.

Venez donc, vous dont les membres s'étendent voluptueusement
chaque soir sur l'édredon, dans l'oubli des fatigues et le charme des
rêves agréables, venez donc voir cette scène! Ce n'est pas une fable: les
faits sont devant vous.
La matinée était déjà bien avancée, et les yeux de Marguerite, qui
avaient été si longtemps rivés sur la porte, s'étaient fermés de lassitude,
alors que ses enfants, devenaient plus remuants, comme il arrivait
ordinairement aux approches de ce réveil à leur détresse réelle dont les
songes n'étaient que les ombres, quand la porte s'ouvrit doucement pour
laisser entrer le mari et le père de toutes ces misères.
Son maintien était calme et la résignation semblait de nouveau gravée
sur son visage.
Mais quand ses regards tombèrent sur les dormeurs, sa quiétude
apparente l'abandonna; il recula en joignant les mains et leva les yeux
au ciel.
Pauvre homme!
Ses yeux se reportèrent sur les dormeurs et les considérèrent pendant
quelques secondes; puis il poussa un gros soupir, se retourna, sortit
sans bruit de la chambre et fit signe d'entrer à un individu qui se tenait
au dehors.
C'était un jeune homme qui, malgré le mauvais état de ses vêtements, le
désordre de sa barbe et de ses cheveux, paraissait bien fait et même de
bonne mine.
Sur son front large, découvert, on voyait briller la bienveillance et la
générosité qui animaient son âme.
Il portait du bois dans ses bras.
L'ayant déposé aussi doucement que possible sur le sol, il alluma du
feu.

--Merci, merci, Guillaume; tu es un digne garçon.
--Oh! Edouard, Edouard! s'écria Marguerite s'éveillant au son de cette
voix. Où est-elle? L'a-t-on ramenée?
--Marguerite, mon enfant, répliqua le mari en affectant un sang-froid
bien loin de son coeur, Madeleine s'est éloignée de nous pour quelque
temps, Dieu sait dans quel but. Il nous la ramènera, mais à présent;
nous devons laisser la pauvre fille entre ses mains. Ah! c'est un grand
malheur, bien grand, Marguerite, ça fend le coeur; mais il faut se faire
violence. Nous avons beaucoup à faire, un devoir sacré devant nous
aujourd'hui, ma bonne femme.
L'infortunée le regarda avec égarement, et retomba sur la paillasse en
poussant un faible cri.
--Marguerite, reprit-il en s'agenouillant à son chevet et en posant la
main sur sa tête en feu, nous l'avons perdue pour peu de temps; mais, si
chère qu'elle puisse nous être, elle est seule aux yeux du ciel. Il nous en
reste quatre, Marguerite, que nous devons pourvoir de pain et tenir hors
de la mauvaise voie. Ferons-nous notre devoir ou souffriront-ils tous
pour une seule? Nous pouvons leur éviter un sort semblable, pire
peut-être; mais, pour elle, la pauvre enfant, si sa droiture naturelle ne la
protège pas, c'est fini, et nous ne pourrons que la réclamer. C'est un
devoir sacré, ma pauvre femme. Nous lui donnerons nos prières, mais
nous devons la laisser à présent, afin de chercher à subvenir aux
besoins des autres. Guillaume et Mark ont juré de la chercher et de
nous la ramener.--Allons, enfants, il fait bien froid; levez-vous.
Guillaume a fait du feu; venez vous
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