obscur, c'est tout un voyage; on se cache dans les coins pour me faire peur. Je joue au brave, mais je ne me sens bien à l'aise que quand je suis rentré dans l'étude où l'on étouffe.
J'y reste quelquefois tout seul, quand mademoiselle Balandreau est en retard. Les élèves sont allés souper, conduits par mon père.
Comme le temps me semble long! C'est vide, muet; et s'il vient quelqu'un, c'est le lampiste qui n'aime pas mon père non plus, je ne sais pourquoi: un vieux qui a une loupe, une casquette de peau de bête et une veste grise comme celle des prisonniers; il sent l'huile, marmotte toujours entre ses dents, me regarde d'un oeil dur, m'?te brutalement ma chaise de dessous moi, sans m'avertir, met le quinquet sur mes cahiers, jette à terre mon petit paletot, me pousse de c?té comme un chien, et sort sans dire un mot. Je ne dis rien non plus et ne parle pas davantage quand mon père revient. On m'a appris qu'il ne fallait pas ?rapporter?. Je ne le fais point, je ne le ferai jamais dans le cours de mon existence de collégien, ce qui me vaudra bien des tortures de la part de mes ma?tres.
Puis, je ne veux pas que, parce qu'on m'a fait mal, il puisse arriver du mal, à mon père, et je lui cache qu'on me maltraite, pour qu'il ne se dispute pas à propos de moi. Tout petit, je sens que j'ai un devoir à remplir, ma sensibilité comprend que je suis un fils de galérien, pis que cela! de garde-chiourme! et je supporte la brutalité du lampiste.
J'écoute, sans para?tre les avoir entendues, les moqueries qui atteignent mon père; c'est dur pour un enfant de dix ans.
Il est arrivé que j'ai eu très faim, quelques-uns de ces soirs-là, quand on tardait trop à venir. Le réfectoire lan?ait des odeurs de grillé, j'entendais le cliquetis des fourchettes à travers la cour.
Comme je maudissais mademoiselle Balandreau qui n'arrivait pas!
J'ai su depuis qu'on la retenait exprès; ma mère avait soutenu à mon père que s'il n'était pas une poule mouillée, il pourrait me fournir mon souper avec les restes du sien, ou avec le supplément qu'il demanderait au réfectoire.
?Si c'était elle, il y a longtemps que ce serait fait. Il n'avait qu'à mettre cela dans du papier. Elle lui donnerait une petite bo?te, s'il voulait.?
Mon père avait toujours résisté--le pauvre homme. La peur d'être vu! le ridicule s'il était surpris--la honte! Ma mère tachait de lui forcer la main de temps en temps, en me laissant affamé, dans son étude, à l'heure du souper. Il ne cédait pas, il préférait que je souffrisse un peu et il avait raison.
Je me souviens pourtant d'une fois où il s'échappa du réfectoire, pour venir me porter une petite c?telette panée qu'il tira d'un cahier de thèmes où il l'avait cachée: il avait l'air si troublé et repartit si ému! Je vois encore la place, je me rappelle la couleur du cahier, et j'ai pardonné bien des torts plus tard à mon père, en souvenir de cette c?telette chipée pour son fils, un soir, au lycée du Puy...
Le proviseur s'appelle Hennequin,--envoyé en disgrace dans ce trou du Puy.
Il a écrit un livre: Les Vacances d'Oscar.
On les donne en prix, et après ce que j'ai entendu dire, ce que j'ai lu à propos des gens qui étaient auteurs, je suis pris d'une vénération profonde, d'une admiration muette pour l'auteur des Vacances d'Oscar, qui daigne être proviseur dans notre petite ville, proviseur de mon père, et qui salue ma mère quand il la rencontre.
J'ai dévoré Les Vacances d'Oscar.
Je vois encore le volume cartonné de vert, d'un vert marbré qui blanchissait sous le pouce et poissait les mains, avec un dos de peau blanche, s'ouvrant mal, imprimé sur papier à chandelle. Eh bien! il tombe de ces pages, de ce malheureux livre, dans mon souvenir, il tombe une impression de fra?cheur chaque fois que j'y songe!
Il y a une histoire de pêche que je n'ai point oubliée.
Un grand filet luit au soleil, les gouttes d'eau roulent comme des perles, les poissons frétillent dans les mailles, deux pêcheurs sont dans l'eau jusqu'à la ceinture, c'est le frisson de la rivière.
Il avait su, cet Hennequin, ce proviseur dégommé, ce chantre du petit Oscar, tra?ner ce grand filet le long d'une page et faire passer cette rivière dans un coin de chapitre...
Le professeur de philosophie--M. Beliben--petit, fluet, une tête comme le poing, trois cheveux, et un filet de vinaigre dans la voix.
Il aimait à prouver l'existence de Dieu, mais si quelqu'un glissait un argument, même dans son sens, il indiquait qu'on le dérangeait, il lui fallait toute la table, comme pour une réussite.
Il prouvait l'existence de Dieu avec des petits morceaux de bois, des haricots.
?Nous pla?ons ici un haricot, bon!--là, une
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