Leffrayante aventure | Page 9

Jules Lermina
événements que devait entraîner à sa suite le crime de
l'Obélisque.

DEUXIÈME PARTIE
CHIMISTE DÉTECTIVE & REPORTER

I
LE CARNET DE M. BOBBY
Ceci se passe à Londres.
M. Bobby est seul dans le petit parloir du cottage qu'il occupe depuis
vingt ans, au coin d'Islington Gardens.
Madame Bobby est absente.
Il a ouvert un tiroir du petit secrétaire, épave du mobilier paternel, et en
a tiré un cahier relié de cuir, fermé par une serrure d'acier.
Ceci est le journal de sa vie, tenu au courant depuis son enfance--sept
ans--sans que jamais, selon le principe du poète, aucun jour se soit
passé qu'il n'y ait inscrit au moins une ligne. Nulla dies sine linea.
M. Bobby est mélancolique, mais ses lèvres serrées et son menton dur
témoignent d'une volonté que rien ne fait fléchir.
Il a posé le carnet sur la tablette, a fait jouer le ressort. Il feuillette,
remonte en arrière et enfin relit.
--Moi, citoyen anglais, né dans la ville de Londres, cockney pur sang,
ayant entendu les cloches de Bow-Church mêler leur son grave à mes

premiers vagissements... [1] j'ai été expulsé de France et je n'ai pu
résister. Me pardonnent mes aïeux d'Azincourt!
[Note 1: On sait que sont seuls vrais cockneys de Londres ceux qui sont
nés dans le périmètre où peuvent s'entendre les cloches de
Bow-Church.]
«Mais la Providence, à laquelle nul ne résiste, avait décidé que son
fidèle serviteur n'aurait point, par cet affront, épuisé la coupe
d'amertume.
«Dès le lendemain de mon retour en mes pénates, une convocation,
dont la sécheresse ne me promettait rien de bon, m'appelait à Scotland
Yard où je fus reçu par M. Sewingthrow, mon chef direct.
«Encouragé par la fermeté de Suzan--c'est-à-dire de Madame Bobby--je
me présentai, en homme sûr de la bonté de sa cause.
«Mais que valent les mérites affirmés d'un homme, en face de la
calomnie, et de ce que j'oserais appeler l'inintelligence.
«Il me fut reproché de m'être mêlé, dans un pays ami, de détails qui ne
me regardaient pas, d'avoir attiré sur moi et sur l'Angleterre, l'attention
malveillante des foules, et--considération qui me fut plus pénible que
toute autre--d'avoir rendu la police britannique ridicule et suspecte
d'incohérence.
«En vain je m'expliquai. J'exposai les principes qui avaient été mes
guides--l'amour de la vérité, le désir d'être utile--en vain je rappelai les
enseignements moraux et religieux que je m'étais efforcé de mettre en
pratique.
«Évidemment j'étais condamné d'avance. Aucun de mes arguments ne
produisit l'effet sur lequel j'étais en droit de compter; et, finalement, je
fus informé que j'étais suspendu de mes fonctions jusqu'à nouvel ordre.
«Il ne me restait qu'à m'incliner, ce qui fut fait.

«En quelques paroles dont j'eus lieu d'être satisfait, et qui ne furent pas
sans éloquence, je protestai respectueusement contra la mesure qui me
frappait.
«--Monsieur Sewingthrow, dis-je en manière de conclusion, le sang des
martyrs, tombant sur la terre, a fait lever une moisson de vérité: sans
que, dans mon humilité, il me convienne de me comparer à ces saints
précurseurs, permettez-moi d'affirmer que l'erreur dont je suis la triste
victime aura peut-être un contre-coup regrettable sur la moralité
publique.
«Mon chef, déconcerté, s'en tira par une phrase que je catalogue dans la
série des outrages immérités.
«--Vous êtes un imbécile, me dit-il. Tenez-vous tranquille, et attendez
les événements.
«Et je suis rentré chez moi, heureux de déverser dans le sein de ma
compagne, l'amertume dont mon coeur était gonflé.
«--Monsieur Bobby, me dit cette femme remarquable, l'affront dont
vous êtes l'objet, retombe sur moi. J'attendrai que vous nous réhabilitiez
tous les deux.
«Ces paroles me dictaient mon devoir. Il me fallait désormais consacrer
ma vie à la recherche de cette vérité, à savoir que Coxward, assassiné à
Paris, le 2 avril, se trouvait cependant à Londres quelques heures
auparavant.
«Car ici, je dois faire un aveu. J'avais pris connaissance du journal où
sa présence dans la nuit du 1er au 2 avril était relatée, et j'ai trop le
respect de la presse de mon pays pour avoir mis un seul instant en
doute cette affirmation, qui, émanée du journalisme français, m'eût paru
plus que suspecte.
«Et je ne fus pas surpris lorsque, dès le lendemain, ayant repris pour
mon compte l'enquête naguère menée par mes critiques, j'acquis la
certitude que les témoins consultés avaient dit la vérité. Ils avaient

assisté au match de boxe dans lequel Coxward s'était disqualifié.
«C'était sous un uppercut au menton qu'il avait chancelé, essayant
d'abord un clinch, mais définitivement abattu par un left qui l'avait jeté
à terre. On imputait à la lâcheté sa promptitude à proclamer sa défaite.
Mais, tous détails recueillis, il m'apparut que Coxward avait un plan
spécial, qui était de ménager ses forces pour réaliser le méfait qu'il
méditait, c'est-à-dire le vol dont, un instant après, il allait
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