Leffrayante aventure | Page 2

Jules Lermina
dégagée des caillots de sang qui la cachaient,
était large, glabre, avec les mâchoires proéminentes, de caractère saxon
certainement.
«Le crâne portait, à la partie frontale, une effroyable blessure, causée
évidemment par un instrument contondant. Des parcelles de cervelle
giclaient hors de la plaie.
«Le corps a été transporté au commissariat et les autorités ont été
prévenues. M. Davaine, le chef de la Sûreté, vient d'arriver et procède à
une première enquête. On attend M. Lépine d'un moment à l'autre....
«Il ne nous appartient pas d'insister sur les bruits qui se répandent:
notre discrétion bien connue nous faisant un devoir de ne pas risquer
d'entraver les recherches de la justice.

«Cependant, d'après l'examen du cadavre et quelques indices déjà
recueillis, voici ce qui semble d'ores et déjà à peu près établi: le mort
appartiendrait au monde du sport. Probablement à la suite de quelque
querelle, il aurait été assommé, à l'aide d'un marteau, ou peut-être d'une
clef anglaise. Son meurtrier, aidé de quelques complices, aurait
transporté le moribond sur la place et on aurait tenté de jeter le corps
par-dessus la clôture. Mais son poids l'aurait retenu sur les piques de la
grille où on l'aurait abandonné.
«Des renseignements importants ont été recueillis, qui paraissent devoir
promptement mettre la police sur la trace du ou des coupables. Dans
notre édition de cinq heures, nous donnerons les détails de cette
horrible affaire qui paraît appelée à produire dans le public une
profonde sensation et qui provoquera très vraisemblablement des
révélations inattendues.»
On comprend facilement l'émotion qui courut dans Paris à l'annonce de
ce mystérieux forfait.
Et encore qui aurait pu se douter des étonnantes, des incroyables
conséquences que devait déchaîner cet événement.

II
OÙ NOUS FAISONS LA CONNAISSANCE DE M. BOBBY
Nous nous payons facilement de mots: quand nous avons appris qu'une
enquête de police est ouverte, nous poussons un soupir de soulagement
et déjà nous éprouvons comme un sentiment de sécurité.
La police bénéficie surtout des inventions des romanciers: depuis le
Zadig de Voltaire jusqu'au Dupin d'Edgar Poë et à l'incomparable
Sherlock Holmes, nous supposons volontiers que tous ces personnages
ont été plus ou moins attachés au service de la Sûreté et ont émargé au
quai des Orfèvres: et ce nous est toujours une nouvelle surprise quand,
les uns après les autres, nous devons classer les crimes les plus
sensationnels au nombre des énigmes indéchiffrables.

Il est même gênant de songer au nombre d'assassins inconnus qui
courent le monde et que nous sommes exposés à coudoyer tous les
jours.
Le crime de l'Obélisque--comme avait été baptisée l'affaire
actuelle--allait-il grossir le nombre des dossiers à jamais clos: on
commençait à se demander s'il était vraiment possible que pareil forfait
fût commis en plein Paris, au point central des quartiers les plus
luxueux, sans que la police pût découvrir le moindre indice.
On avait fouillé tous les bars des environs, interrogé tous les sportsmen
de haute et de basse catégorie, questionné l'ambassade
d'Angleterre--car ce seul fait était acquis que la victime était
anglaise--on n'avait signalé aucune disparition ni dans les
établissements spéciaux, ni dans les hôtels.
Un instant on avait cru tenir une piste: des professionnels de la boxe
avaient déclaré que l'inconnu devait être un habitué des assauts de cette
spécialité, ceci à certaines traces caractéristiques que les poings laissent
sur des parties du corps, toujours les mêmes, notamment à une
déformation des maxillaires.
Le chef de la Sûreté, M. Davaine, que quelques récents insuccès
avaient mis en assez fâcheuse posture, gourmandait ses agents de la
belle façon.
En vain, à la Morgue, où le corps avait été transporté, les indicateurs se
mêlaient à la foule, interrogeant les physionomies des visiteurs,
provoquant leurs confidences. Au résumé le résultat était toujours le
même: Connais pas!
Un bruit courait, assez singulier.
L'autopsie avait été pratiquée et l'illustre médecin légiste qui avait
réalisé l'opération aurait, disait-on, déclaré que l'individu en question
n'était mort ni des blessures qu'il portait au crâne, ni des horribles plaies,
déterminées par cette sorte d'embrochement sur les piques de la grille.

Mais qu'il était mort auparavant.
Ce qui eût semblé indiquer qu'il avait été assassiné et que c'était à l'état
de cadavre qu'il avait été porté à la Concorde.
Mais telle n'était pas la conclusion du praticien: selon lui, l'inconnu
était mort de suffocation. L'état de ses poumons ne laissait aucun doute
à cet égard... et le cou ne portait aucune trace de violence, aucune
marque de strangulation.
Ce qui était acquis, du moins ainsi l'affirmait un reporter du Nouvelliste,
c'est que la mort ne pouvait en aucune façon être attribuée aux
blessures du crâne ou du thorax--lesquelles ne s'étaient produites
qu'après la mort.
D'autre part, le point où le cadavre avait été trouvé et qui forme le
centre d'un énorme espace vide rendait difficile à accepter cette version
que des malfaiteurs
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