Leffrayante aventure | Page 5

Jules Lermina
bien peut-être qui rira le dernier.
En somme, ce défi ressemblait singulièrement à du bluff. Mais le public s'en amusa et, comme justement en ce moment, il n'était question ni de renversement de ministère ni de tremblement de terre à l'étranger, cette lutte, peu courtoise d'ailleurs, captivait la curiosité générale. Or, il faut reconna?tre que, malgré la collaboration de l'Anglais Bobby, l'affaire n'avan?ait pas d'un seul pas.
Chaque jour, le Nouvelliste, puisant sa documentation à bonne source, relatait la déposition des divers témoins que le juge d'instruction, M. Mallet du Saule, faisait défiler dans son cabinet, et qui malheureusement se résumaient toujours en cette formule concise, mais peu satisfaisante:
--Le sieur Coxward nous est parfaitement inconnu.
Le Reporter se taisait, se contentant d'insinuations goguenardes, dans lesquelles M. Bobby n'était guère ménagé.
Un jour, le Nouvelliste crut triompher.
On avait découvert, dans les bas-fonds de Ménilmontant, une fille anglaise qui avait reconnu la photographie de Coxward. Seulement elle déclarait l'avoir vu à Dieppe, il y avait deux ans de cela, alors qu'en train de plaisir, il était venu passer vingt-quatre heures en France.
La fille avait été arrêtée, cuisinée comme il convient, mais elle ne s'était pas contredite. Jamais depuis deux ans, elle n'avait revu ledit Coxward ni n'avait entendu parler de lui.
D'autres dépositions contribuaient à compliquer l'énigme. Certains attribuaient le nom de Coxward à des personnages du monde sportif, qu'on trouvait parfaitement vivants sous le nom--qui leur appartenait--de Coxwell ou de Coxburn.
Soudain, il y avait quinze jours que cet imbroglio s'enchevêtrait de plus en plus, quand le Reporter parut avec une manchette en caractères énormes, ainsi libellée:
RIRA BIEN QUI RIRA LE DERNIER
et suivait l'article que voici:
?--Nos lecteurs n'ont pas été sans remarquer la discrétion que nous avons apportée dans nos informations sur l'affaire Coxward: ils savent d'ailleurs que nous avons l'habitude de ne parler que de ce que nous savons et de ne pas accepter les renseignements qui peuvent nous parvenir sans les passer au crible de la critique. Si parfois nous nous permettons de hasarder quelques hypothèses, c'est à ce titre que nous les présentons et seule, la mauvaise foi peut nous faire un crime de ce qui n'est qu'un souci de la vérité. à bon entendeur, salut!
?Ceci dit, nous affirmons--et cette fois sans ambages ni réticences--que la déposition du sieur Bobby--le célèbre détective anglais--qui a si fort ému l'opinion, légèrement irritée d'ailleurs par l'immixtion d'un étranger dans nos affaires intérieures--que cette déposition, disons-nous, devant laquelle on s'est si fort haté de s'incliner, comme si elle était et ne pouvait être que parole d'évangile, que cette déposition est
ERRONéE ET INEXACTE DE TOUS POINTS.
?Ceux qui l'ont acceptée avec tant d'empressement seront sans doute fort marris d'apprendre qu'ils ont été la victime
D'UNE ERREUR OU D'UNE IMPOSTURE
LE MORT DE L'OBéLISQUE N'EST PAS COXWARD
?Et, comme garantie de notre affirmation, nous émettons un pari de
CENT MILLE FRANCS
contre quiconque voudra le tenir. Nous déposons aujourd'hui même cette somme, en espèces sonnantes, trébuchantes et ayant cours, chez Me Falloux, notaire.
?Le temps et l'espace nous manquent pour nous expliquer plus nettement. La confirmation de nos affirmations se trouvera établie tout au long dans notre édition de cinq heures.?
--Allez me chercher M. Bobby! s'était écrié le chef de la S?reté à la lecture de cet impertinent factum.
Le détective anglais arriva d'assez mauvaise humeur.
Il était à Paris uniquement pour son plaisir, et justement on venait le déranger au moment où il allait partir en voiture Cook pour Versailles, avec madame Bobby.
Sans prendre garde à sa physionomie quelque peu rébarbative, M. Davaine lui tendit le journal.
--Avez-vous lu cela?
--Yes, Sir.
--Que dites-vous de cela?...
--Un pur humbug, déclara Bobby. Même à ce sujet j'ai une question à vous adresser. Ces quatre mille livres sterling sont bonnes à prendre. Que dois-je faire pour m'en assurer le paiement?
--écrire au journal le Reporter une lettre très explicite... mais à mon tour, un mot... Monsieur Bobby, prenez-y bien garde. Vous m'avez mis dans la situation la plus délicate. J'ai accepté votre déclaration comme émanant d'un homme du métier qui sait quelles sont ses responsabilités et aussi d'un gentleman incapable de se jouer de la confiance d'autrui. Aujourd'hui, en présence de ces dénégations, êtes-vous s?r de vous? Après tout, on peut être abusé par une ressemblance... vous n'ignorez évidemment pas l'histoire de Lesurques et de son sosie Dubosc, avez-vous la certitude absolue de ne vous être pas trompé....
M. Bobby qui, d'ordinaire, était de teint plut?t pale, était soudain devenu cramoisi, et il y avait dans ses machoires un frémissement de mauvais augure.
--Monsieur, répondit-il d'une voix étranglée, je ne suis ni un enfant ni un fou. J'appartiens au service de S. M. Britannique et c'est par pure condescendance, je vous le rappelle, que je consens à vous répondre, malgré l'atteinte profonde que vous venez de porter à ma dignité de citoyen anglais. Je jure que l'homme assassiné est bien John Coxward, et je fais plus, je
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