Le voleur | Page 7

Georges Darien
souvenir, encore.
M. Dubourg est un ami de la famille. C'est un homme de cinquante ans, au moins, employ�� sup��rieur d'un minist��re o�� sa r��putation de droiture lui assure une situation unique. R��putation m��rit��e; mon grand-p��re, souvent un peu sarcastique, en convient sans difficult��: Dubourg, c'est l'honn��tet�� en personne. Il est notre voisin, l'��t��; sa femme est une grande amie de ma m��re et c'est avec son fils, Albert, que je joue le plus volontiers. J'ai l'habitude d'aller le chercher l'apr��s-midi; et je suis fort ��tonn�� que, depuis plusieurs jours, on me d��fende de sortir. Que se passe-t-il?
J'ai surpris des bouts de conversation, j'ai fait parler les domestiques. Il parait que M. Dubourg s'est mal conduit... des d��tournements consid��rables... une cocotte... la ruine et le d��shonneur -- sinon plus...
Mon p��re se doute que je suis au courant des choses, car il prend le parti de ne plus se g��ner devant moi.
-- Dubourg peut se flatter d'avoir de la chance, dit-il �� ma m��re, �� d��jeuner; Il ne sera pas poursuivi; il a rembours��, et on se contente de ?a. Moi, je ne comprends pas ces indulgences-l��; c'est tout �� fait d��moralisant; le crime ne doit jamais, sous aucun pr��texte, ��chapper au chatiment.
-- Jamais, dit ma m��re. Mais on aura eu ��gard �� son age.
-- Belle excuse! Raison de plus pour n'avoir pas de piti��. Une cocotte! Une danseuse!... Une liaison qui durait depuis des mois - - depuis des ann��es, peut-��tre... Connais-tu rien de plus immoral? Et monsieur fouille �� pleines mains dans les caisses publiques pour entretenir ?a!... Comme sous l'Empire! Comme sous Louis XV!... Et, quand on le prend sur le fait, on lui pardonne, sous pr��texte qu'il a cinquante-cinq ans de vie irr��prochable et que ses cheveux sont blancs!
-- Ce n'est gu��re encourageant pour les honn��tes gens, dit ma m��re. On ��prouve un tel soulagement �� lire, dans les journaux, les condamnations des fripons... Enfin, jugement ou non, on est toujours libre de fermer sa porte �� des gens pareils, heureusement...
-- C'est ce qu'on fait partout pour Dubourg, sois tranquille. J'ai donn�� des ordres, ici. Et quant �� toi, Georges, si par hasard tu rencontres Albert, je te d��fends de lui parler. Je te le d��fends; tu m'entends?
Je n'ai pas rencontr�� Albert. Mais le surlendemain matin, comme je suis assis, au fond du jardin, �� c?t�� de mon p��re qui lit son journal, je vois arriver M. Dubourg. La domestique, par b��tise ou par piti��, lui aura permis d'entrer.
-- La sotte fille! dit mon p��re. Elle aura ses huit jours avant midi.
Mais M. Dubourg est �� dix pas. Je sens que je vais ��tre bien g��nant pour lui, qu il ne pourra pas dire, devant moi, tout ce qu'il a �� dire, et je me l��ve pour m'en aller. Mon p��re me retient par le bras.
-- Reste l��!
M. Dubourg parle depuis cinq minutes; des phrases embarrass��es, coup��es, heurt��es, honteuses d'elles-m��mes. Et, chaque fois qu'il s'arr��te, mon p��re esquisse la moiti�� d'un geste, mais il ne r��pond rien. Rien; pas un mot.
M. Dubourg continue. Il dit que des sympathies lui seraient si pr��cieuses... des sympathies m��me cach��es... qu'on d��savouerait devant le monde...
Silence.
Il dit qu'il a eu un moment d'��garement... mais que le chiffre qu'on a cit�� ��tait exag��r��, qu'il n'avait jamais ��t�� aussi loin... qu'il ne s'explique pas... qu'il a refait tous ses comptes depuis vingt ans...
Silence.
Il dit qu'il a ��t�� un grand mis��rable de c��der �� des tentations... qu'il comprend tr��s bien qu'on ne l'excuse pas �� pr��sent... mais qu'il avait esp��r�� qu'on consentirait avant de le condamner d��finitivement... que, s'il ne se sentait pas compl��tement abandonn��, le repentir lui donnerait des forces...
Silence.
Il dit qu'il va partir tr��s loin avec sa famille... que, s'il ��tait seul, il saurait bien quoi faire, et que ce serait peut-��tre le mieux...
Silence.
-- Eh! bien, a-t-il murmur��, je ne veux point vous importuner plus longtemps, M. Randal; je vais vous quitter... Au revoir...
Et il a tendu une main qui tremblait. Mon p��re a h��sit��; puis, il a mis l'aum?ne de deux doigts dans cette main-l��.
-- Adieu, Monsieur.
Alors, M. Dubourg est parti. Il s'en est all�� �� grandes enjamb��es, le dos vo?t�� comme pour cacher sa figure, sa figure rid��e, tir��e, aux yeux rouges, qui a vieilli de dix ans. Le chien l'a suivi, le museau au ras du sol, lui flairant les talons d'un air bien d��go?t��, serrant fun��brement sa queue entre ses pattes -- comme les soldats portent leur fusil le canon en bas, aux enterrements officiels.
Je n'ai jamais oubli�� ?a.
Mais �� quoi bon se souvenir, quand on est heureux? Car je suis heureux. Je ne dis pas que je suis tr��s heureux, car j'ignore quel est le superlatif du bonheur. Je ne le saurai que plus tard, quand il sera temps. Tout vient �� point �� qui sait attendre.
J'aime mes parents.
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