Le village aérien | Page 9

Jules Verne
l'intention de se remettre en route au point du jour, pourquoi cette
illumination de la lisière?... Quelle cérémonie nocturne les tenait
éveillés à cette heure?...
«Et je me demande même, fit observer Max Huber, s'ils ont reconnu
notre caravane, et s'ils savent qu'elle est campée autour des tamarins...
-- En effet, répondit Khamis, il est possible qu'ils ne soient arrivés qu'à
la tombée de la nuit, lorsqu'elle enveloppait déjà la plaine, et, comme

nos foyers étaient éteints, peut-être ignorent- ils que nous sommes
campés à courte distance?... Mais, demain, dès l'aube, ils nous verront...
-- À moins que nous ne soyons repartis, Khamis.»
Max Huber et le foreloper reprirent leur marche en silence.
Un demi-kilomètre fut franchi de telle sorte que, à ce moment, la
distance jusqu'à la forêt se réduisait à quelques centaines de mètres.
Rien de suspect à la surface de ce sol traversé parfois du long jet des
torches. Aucune silhouette ne s'y découpait, ni au sud, ni au levant, ni
au couchant. Une agression ne semblait pas imminente. En outre, si
rapprochés qu'ils fussent de la lisière, ni Max Huber, ni Khamis, ni
Llanga ne parvinrent à découvrir les êtres qui signalaient leur présence
par ces multiples feux.
«Devons-nous nous approcher davantage?... demanda Max Huber,
après un arrêt de quelques instants.
-- À quoi bon?... répondit Khamis. Ne serait-ce pas imprudent?... Il est
possible, après tout, que notre caravane n'ait point été aperçue, et si
nous décampons cette nuit...
-- J'aurais pourtant voulu être fixé!... répéta Max Huber. Cela se
présente dans des conditions si singulières...»
Et il n'en fallait pas tant pour surexciter une vive imagination de
Français.
«Retournons au tertre», répliqua le foreloper.
Cependant il dut s'avancer plus près encore, à la suite de Max Huber,
que Llanga n'avait pas voulu quitter... Et, peut-être, tous les trois se
fussent-ils portés jusqu'à la lisière, lorsque Khamis s'arrêta
définitivement.
«Pas un pas de plus!» dit-il à voix basse.

Était-ce donc devant un danger imminent que le foreloper et son
compagnon suspendirent leur marche?... Avaient-ils entrevu un groupe
d'indigènes?... Allaient-ils être attaqués?... Ce qui était certain, c'est
qu'un brusque changement venait de se manifester dans la disposition
des feux sur le bord de la forêt.
Un moment ces feux disparurent derrière le rideau des premiers arbres,
confondus dans une obscurité profonde.
«Attention!... dit Max Huber.
-- En arrière!...» répondit Khamis.
Convenait-il de rétrograder dans la crainte d'une agression immédiate?...
Peut-être. En tout cas, mieux valait ne pas battre en retraite sans être
prêt à répondre coup pour coup. Les carabines armées remontèrent à
l'épaule, tandis que les regards ne cessaient de fouiller les sombres
massifs de la lisière.
Soudain, de cette ombre, les clartés ne tardèrent pas à jaillir de nouveau
au nombre d'une vingtaine.
«Parbleu! s'écria Max Huber, cette fois-ci, si ce n'est pas de
l'extraordinaire, c'est tout au moins de l'étrange!»
Ce mot semblera justifié pour cette raison que les torches, après avoir
brillé naguère au niveau de la plaine, jetaient alors de plus vifs éclats
entre cinquante et cent pieds au-dessus du sol.
Quant aux êtres quelconques qui agitaient ces torches, tantôt sur les
basses branches, tantôt sur les plus hautes, comme si un vent de flamme
eût traversé cette épaisse frondaison, ni Max Huber, ni le foreloper, ni
Llanga ne parvinrent à en distinguer un seul.
«Eh! s'écria Max Huber, ne seraient-ce que des feux follets se jouant
dans les arbres?...»
Khamis secoua la tête. L'explication du phénomène ne le satisfaisait

point.
Qu'il y eût là quelque expansion d'hydrogène en exhalaisons
enflammées, une vingtaine de ces aigrettes que les orages accrochent
aussi bien aux branches des arbres qu'aux agrès d'un navire, non, certes,
et ces feux, on ne pouvait les confondre avec les capricieuses furolles
de Saint-Elme. L'atmosphère n'était point saturée d'électricité, et les
nuages menaçaient plutôt de se résoudre en une de ces pluies
torrentielles qui inondent fréquemment la partie centrale du continent
noir.
Mais, alors, pourquoi les indigènes campés au pied des arbres
s'étaient-ils hissés, les uns jusqu'à leur fourche, les autres jusqu'à leurs
extrêmes branches?... Et à quel propos y promenaient-ils ces brandons
allumés, ces flambeaux de résine dont la déflagration faisait entendre
ses craquements à cette distance?...
«Avançons... dit Max Huber.
-- Inutile, répondit le foreloper. Je ne crois pas que notre campement
soit menacé cette nuit, et il est préférable d'y revenir afin de rassurer
nos compagnons...
-- Nous serons plus en mesure de les rassurer, Khamis, lorsque nous
saurons à quoi nous en tenir sur la nature de ce phénomène...
-- Non, monsieur Max, ne nous aventurons pas plus loin... Il est certain
qu'une tribu est réunie en cet endroit... Pour quelle raison ces nomades
agitent-ils ces flammes?... Pourquoi se sont- ils réfugiés dans les
arbres?... Est-ce afin d'éloigner des fauves qu'ils ont entretenu ces
feux?...
-- Des fauves?... répliqua
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