Le village aérien | Page 8

Jules Verne
blessures mortelles.
On attendit. Aucun bruit ne traversait l'espace. Il ne semblait pas que
les indigènes se fussent portés en avant de la forêt. Les feux se
montraient incessamment, et, çà et là, s'agitaient de longs panaches de
fumée jaunâtre.
«Ce sont des torches résineuses qui sont promenées sur la lisière des
arbres...
-- Assurément, répondit Max Huber, mais je persiste à ne pas
comprendre pourquoi ces gens-là le font, s'ils ont l'intention de nous
attaquer...

-- Et je ne le comprends pas davantage, ajouta John Cort, s'ils n'ont pas
cette intention.»
C'était inexplicable, en effet. Il est vrai, de quoi s'étonner, du moment
qu'il s'agissait de ces brutes du haut Oubanghi?...
Une demi-heure s'écoula, sans amener aucun changement dans la
situation. Le campement se tenait sur ses gardes. Les regards fouillaient
les sombres lointains de l'est et de l'ouest. Tandis que les feux brillaient
au sud, un détachement pouvait se glisser latéralement pour attaquer la
caravane grâce à l'obscurité.
En cette direction, la plaine était certainement déserte. Si profonde que
fût la nuit, un parti d'agresseurs n'aurait pu surprendre le Portugais et
ses compagnons, avant que ceux-ci eussent fait usage de leurs armes.
Un peu après, vers onze heures, Max Huber, se portant à quelques pas
du groupe que formaient Urdax, Khamis et John Cort, dit d'une voix
résolue:
«Il faut aller reconnaître l'ennemi...
-- Est-ce bien utile, demanda John Cort, et la simple prudence ne nous
commande-t-elle pas de rester en observation jusqu'au lever du jour?...
-- Attendre... attendre... répliqua Max Huber, après que notre sommeil a
été si fâcheusement interrompu... attendre pendant six à sept heures
encore, la main sur la garde du fusil!... Non! il faut savoir au plus tôt à
quoi s'en tenir!... Et, somme toute, si ces indigènes n'ont aucune
mauvaise intention, je ne serais pas fâché de me reblottir jusqu'au matin
dans ce cadre de racines où je faisais de si beaux rêves!
-- Qu'en pensez-vous?... demanda John Cort au Portugais qui demeurait
silencieux.
-- Peut-être la proposition mérite-t-elle d'être acceptée, répliqua-t-il,
mais n'agissons pas sans précautions...

-- Je m'offre pour aller en reconnaissance, dit Max Huber, et fiez-vous à
moi...
-- Je vous accompagnerai, ajouta le foreloper, si M. Urdax le trouve
bon...
-- Cela vaudra certes mieux, approuva le Portugais.
-- Je puis aussi me joindre à vous..., proposa John Cort.
-- Non... restez, cher ami, insista Max Huber. À deux, nous suffirons...
D'ailleurs, nous n'irons pas plus loin qu'il ne sera nécessaire... Et, si
nous découvrons un parti se dirigeant de ce côté, nous reviendrons en
toute hâte...
-- Assurez-vous que vos armes sont en état..., recommanda John Cort.
-- C'est fait, répondit Khamis, mais j'espère que nous n'aurons pas à
nous en servir pendant cette reconnaissance. L'essentiel est de ne pas se
laisser voir...
-- C'est mon avis», déclara le Portugais.
Max Huber et le foreloper, marchant l'un près de l'autre, eurent vite
dépassé le tertre des tamarins. Au delà, la plaine était un peu moins
obscure. Un homme, cependant, n'y eût pu être signalé à la distance
d'une centaine de pas. Ils en avaient fait cinquante à peine, lorsqu'ils
aperçurent Llanga derrière eux. Sans rien dire, l'enfant les avait suivis
en dehors du campement.
«Eh! pourquoi es-tu venu, petit?... dit Khamis.
-- Oui, Llanga, reprit Max Huber, pourquoi n'es-tu pas resté avec les
autres?...
-- Allons... retourne..., ordonna le foreloper.
-- Oh! monsieur Max, murmura Llanga, avec vous... moi... avec vous...

-- Mais tu sais bien que ton ami John est là-bas...
-- Oui... mais mon ami Max... est ici...
-- Nous n'avons pas besoin de toi!... dit Khamis d'un ton assez dur.
-- Laissons-le, puisqu'il est là! reprit Max Huber. Il ne nous gênera pas,
Khamis, et, avec ses yeux de chat sauvage, peut-être découvrira-t-il
dans l'ombre ce que nous ne pourrions y voir...
-- Oui... je regarderai... je verrai loin!... assura l'enfant.
-- C'est bon!... Tiens-toi près de moi, dit Max Huber, et ouvre l'oeil!»
Tous trois se portèrent en avant. Un quart d'heure après, ils étaient à
moitié chemin entre le campement et la grande forêt.
Les feux développaient toujours leurs clartés au pied des massifs et,
moins éloignés, se manifestaient par de plus vifs éclats. Mais si
pénétrante que fût la vue du foreloper, si bonne que fût la lunette que
Max Huber venait d'extraire de son étui, si perçants que fussent les
regards du jeune «chat sauvage», il était impossible d'apercevoir ceux
qui agitaient ces torches.
Cela confirmait cette opinion du Portugais, que c'était sous le couvert
des arbres, derrière les épaisses broussailles et les larges troncs, que se
mouvaient ces lueurs. Assurément, les indigènes n'avaient pas dépassé
la limite de la forêt, et peut- être ne songeaient-ils pas à le faire.
En réalité, c'était de plus en plus inexplicable. S'il ne se trouvait là
avant
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