Le village aérien | Page 9

Jules Verne
qu'ils fussent de la lisière, ni Max Huber, ni Khamis, ni Llanga ne parvinrent à découvrir les êtres qui signalaient leur présence par ces multiples feux.
?Devons-nous nous approcher davantage?... demanda Max Huber, après un arrêt de quelques instants.
-- à quoi bon?... répondit Khamis. Ne serait-ce pas imprudent?... Il est possible, après tout, que notre caravane n'ait point été aper?ue, et si nous décampons cette nuit...
-- J'aurais pourtant voulu être fixé!... répéta Max Huber. Cela se présente dans des conditions si singulières...?
Et il n'en fallait pas tant pour surexciter une vive imagination de Fran?ais.
?Retournons au tertre?, répliqua le foreloper.
Cependant il dut s'avancer plus près encore, à la suite de Max Huber, que Llanga n'avait pas voulu quitter... Et, peut-être, tous les trois se fussent-ils portés jusqu'à la lisière, lorsque Khamis s'arrêta définitivement.
?Pas un pas de plus!? dit-il à voix basse.
était-ce donc devant un danger imminent que le foreloper et son compagnon suspendirent leur marche?... Avaient-ils entrevu un groupe d'indigènes?... Allaient-ils être attaqués?... Ce qui était certain, c'est qu'un brusque changement venait de se manifester dans la disposition des feux sur le bord de la forêt.
Un moment ces feux disparurent derrière le rideau des premiers arbres, confondus dans une obscurité profonde.
?Attention!... dit Max Huber.
-- En arrière!...? répondit Khamis.
Convenait-il de rétrograder dans la crainte d'une agression immédiate?... Peut-être. En tout cas, mieux valait ne pas battre en retraite sans être prêt à répondre coup pour coup. Les carabines armées remontèrent à l'épaule, tandis que les regards ne cessaient de fouiller les sombres massifs de la lisière.
Soudain, de cette ombre, les clartés ne tardèrent pas à jaillir de nouveau au nombre d'une vingtaine.
?Parbleu! s'écria Max Huber, cette fois-ci, si ce n'est pas de l'extraordinaire, c'est tout au moins de l'étrange!?
Ce mot semblera justifié pour cette raison que les torches, après avoir brillé naguère au niveau de la plaine, jetaient alors de plus vifs éclats entre cinquante et cent pieds au-dessus du sol.
Quant aux êtres quelconques qui agitaient ces torches, tant?t sur les basses branches, tant?t sur les plus hautes, comme si un vent de flamme e?t traversé cette épaisse frondaison, ni Max Huber, ni le foreloper, ni Llanga ne parvinrent à en distinguer un seul.
?Eh! s'écria Max Huber, ne seraient-ce que des feux follets se jouant dans les arbres?...?
Khamis secoua la tête. L'explication du phénomène ne le satisfaisait point.
Qu'il y e?t là quelque expansion d'hydrogène en exhalaisons enflammées, une vingtaine de ces aigrettes que les orages accrochent aussi bien aux branches des arbres qu'aux agrès d'un navire, non, certes, et ces feux, on ne pouvait les confondre avec les capricieuses furolles de Saint-Elme. L'atmosphère n'était point saturée d'électricité, et les nuages mena?aient plut?t de se résoudre en une de ces pluies torrentielles qui inondent fréquemment la partie centrale du continent noir.
Mais, alors, pourquoi les indigènes campés au pied des arbres s'étaient-ils hissés, les uns jusqu'à leur fourche, les autres jusqu'à leurs extrêmes branches?... Et à quel propos y promenaient-ils ces brandons allumés, ces flambeaux de résine dont la déflagration faisait entendre ses craquements à cette distance?...
?Avan?ons... dit Max Huber.
-- Inutile, répondit le foreloper. Je ne crois pas que notre campement soit menacé cette nuit, et il est préférable d'y revenir afin de rassurer nos compagnons...
-- Nous serons plus en mesure de les rassurer, Khamis, lorsque nous saurons à quoi nous en tenir sur la nature de ce phénomène...
-- Non, monsieur Max, ne nous aventurons pas plus loin... Il est certain qu'une tribu est réunie en cet endroit... Pour quelle raison ces nomades agitent-ils ces flammes?... Pourquoi se sont- ils réfugiés dans les arbres?... Est-ce afin d'éloigner des fauves qu'ils ont entretenu ces feux?...
-- Des fauves?... répliqua Max Huber. Mais panthères, hyènes, boeufs sauvages, on les entendrait rugir ou meugler, et l'unique bruit qui nous arrive, c'est le crépitement de ces résines, qui menacent d'incendier la forêt!... Je veux savoir...?
Et Max Huber s'avan?a de quelques pas, suivi de Llanga, que Khamis rappelait vainement à lui.
Le foreloper hésitait sur ce qu'il devait faire dans son impuissance à retenir l'impatient Fran?ais. Bref, ne voulant pas le laisser s'aventurer, il se disposait à l'accompagner jusqu'aux massifs, bien que, à son avis, ce f?t une impardonnable témérité.
Soudain, il fit halte, à l'instant même où s'arrêtaient Max Huber et Llanga. Tous trois se retournèrent, dos à la forêt. Ce n'étaient plus les clartés qui attiraient leur attention. D'ailleurs, comme au souffle d'un subit ouragan, les torches venaient de s'éteindre, et de profondes ténèbres enveloppaient l'horizon.
Du c?té opposé, une rumeur lointaine se propageait à travers l'espace, ou plut?t un concert de mugissements prolongés, de ronflements nasards, à faire croire qu'un orgue gigantesque lan?ait ses puissantes ondes à la surface de la plaine.
était-ce un orage qui montait sur cette partie du ciel, et dont les premiers grondements troublaient l'atmosphère?...
Non!... Il ne se produisait aucun de ces météores, qui désolent si souvent l'Afrique
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