Le vicomte de Bragelonne, Tome II. | Page 8

Alexandre Dumas
du collège des jésuites, exactement dans la même situation où il l'avait retrouvé autrefois dans l'auberge de Crèvecoeur.
Cette compagnie n'effraya pas le mousquetaire.
-- Qu'est-ce? dit tranquillement Aramis. Vous avez quelque chose à me dire, ce me semble, cher ami?
-- C'est, répondit d'Artagnan en regardant Aramis, c'est que Porthos n'est pas chez lui.
-- Tiens! fit Aramis avec calme; vous êtes s?r?
-- Pardieu! je viens de sa chambre.
-- Où peut-il être alors?
-- Je vous le demande.
-- Et vous ne vous en êtes pas informé?
-- Si fait.
-- Et que vous a-t-on répondu?
-- Que Porthos sortant souvent le matin sans rien dire à personne, était probablement sorti.
-- Qu'avez-vous fait alors?
-- J'ai été à l'écurie, répondit indifféremment d'Artagnan.
-- Pour quoi faire?
-- Pour voir si Porthos est sorti à cheval.
-- Et?... interrogea l'évêque.
-- Eh bien! il manque un cheval au ratelier, le numéro 5, Goliath.
Tout ce dialogue, on le comprend, n'était pas exempt d'une certaine affectation de la part du mousquetaire et d'une parfaite complaisance de la part d'Aramis.
-- Oh! je vois ce que c'est, dit Aramis après avoir rêvé un moment: Porthos est sorti pour nous faire une surprise.
-- Une surprise?
-- Oui. Le canal qui va de Vannes à la mer est très giboyeux en sarcelles et en bécassines; c'est la chasse favorite de Porthos; il nous en rapportera une douzaine pour notre déjeuner.
-- Vous croyez? fit d'Artagnan.
-- J'en suis s?r. Où voulez-vous qu'il soit allé? Je parie qu'il a emporté un fusil.
-- C'est possible, dit d'Artagnan.
-- Faites une chose, cher ami, montez à cheval et le rejoignez.
-- Vous avez raison, dit d'Artagnan, j'y vais.
-- Voulez-vous qu'on vous accompagne?
-- Non, merci, Porthos est reconnaissable. Je me renseignerai.
-- Prenez-vous une arquebuse?
-- Merci.
-- Faites-vous seller le cheval que vous voudrez.
-- Celui que je montais hier en venant de Belle-?le.
-- Soit; usez de la maison comme de la v?tre.
Aramis sonna et donna l'ordre de seller le cheval que choisirait M. d'Artagnan.
D'Artagnan suivit le serviteur chargé de l'exécution de cet ordre.
Arrivé à la porte, le serviteur se rangea pour laisser passer d'Artagnan. Dans ce moment son oeil rencontra l'oeil de son ma?tre. Un froncement de sourcils fit comprendre à l'intelligent espion que l'on donnait à d'Artagnan ce qu'il avait à faire.
D'Artagnan monta à cheval; Aramis entendit le bruit des fers qui battaient le pavé.
Un instant après, le serviteur rentra.
-- Eh bien? demanda l'évêque.
-- Monseigneur, il suit le canal et se dirige vers la mer, dit le serviteur.
-- Bien! dit Aramis.
En effet, d'Artagnan, chassant tout soup?on, courait vers l'océan, espérant toujours voir dans les landes ou sur la grève la colossale silhouette de son ami Porthos.
D'Artagnan s'obstinait à reconna?tre des pas de cheval dans chaque flaque d'eau. Quelquefois il se figurait entendre la détonation d'une arme à feu. Cette illusion dura trois heures. Pendant deux heures, d'Artagnan chercha Porthos.
Pendant la troisième, il revint à la maison.
-- Nous nous serons croisés, dit-il, et je vais trouver les deux convives attendant mon retour.
D'Artagnan se trompait. Il ne retrouva pas plus Porthos à l'évêché qu'il ne l'avait trouvé sur le bord du canal.
Aramis l'attendait au haut de l'escalier avec une mine désespérée.
-- Ne vous a-t-on pas rejoint, mon cher d'Artagnan? cria-t-il du plus loin qu'il aper?ut le mousquetaire.
-- Non. Auriez-vous fait courir après moi?
-- Désolé, mon cher ami, désolé de vous avoir fait courir inutilement; mais, vers sept heures, l'aum?nier de Saint-Paterne est venu; il avait rencontré du Vallon qui s'en allait et qui, n'ayant voulu réveiller personne à l'évêché, l'avait chargé de me dire que, craignant que M. Gétard ne lui f?t quelque mauvais tour en son absence, il allait profiter de la marée du matin pour faire un tour à Belle-?le.
-- Mais, dites-moi, Goliath n'a pas traversé les quatre lieues de mer, ce me semble?
-- Il y en a bien six, dit Aramis.
-- Encore moins, alors.
-- Aussi, cher ami, dit le prélat avec un doux sourire, Goliath est à l'écurie, fort satisfait même, j'en réponds, de n'avoir plus Porthos sur le dos.
En effet, le cheval avait été ramené du relais par les soins du prélat, à qui aucun détail n'échappait.
D'Artagnan parut on ne peut plus satisfait de l'explication.
Il commen?ait un r?le de dissimulation qui convenait parfaitement aux soup?ons qui s'accentuaient de plus en plus dans son esprit. Il déjeuna entre le jésuite et Aramis, ayant le dominicain en face de lui et souriant particulièrement au dominicain, dont la bonne grosse figure lui revenait assez.
Le repas fut long et somptueux; d'excellent vin d'Espagne, de belles hu?tres du Morbihan, les poissons exquis de l'embouchure de la Loire, les énormes chevrettes de Paimboeuf et le gibier délicat des bruyères en firent les frais.
D'Artagnan mangea beaucoup et but peu. Aramis ne but pas du tout, ou du moins ne but que de l'eau. Puis après le déjeuner:
-- Vous m'avez offert une arquebuse? dit d'Artagnan.
-- Oui.
-- Prêtez-la-moi.
-- Vous voulez chasser?
-- En attendant Porthos, c'est ce que
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 136
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.