Le vicomte de Bragelonne, Tome II. | Page 7

Alexandre Dumas
Il courut tout en chemise regarder par la fenêtre: la fenêtre donnait sur la cour. Le jour se levait.
La cour était déserte, les poules elles-mêmes n'avaient pas encore quitté leurs perchoirs.
Pas un valet n'apparaissait.
Toutes les portes étaient fermées.
?Bon! calme parfait, se dit d'Artagnan. N'importe, me voici réveillé le premier de toute la maison. Habillons-nous; ce sera autant de fait.?
Et d'Artagnan s'habilla.
Mais cette fois il s'étudia à ne point donner au costume de M. Agnan cette rigidité bourgeoise et presque ecclésiastique qu'il affectait auparavant; il sut même, en se serrant davantage, en se boutonnant d'une certaine fa?on, en posant son feutre plus obliquement, rendre à sa personne un peu de cette tournure militaire dont l'absence avait effarouché Aramis. Cela fait, il en usa ou plut?t feignit d'en user sans fa?on avec son h?te, et entra tout à l'improviste dans son appartement. Aramis dormait ou feignait de dormir.
Un grand livre était ouvert sur son pupitre de nuit; la bougie br?lait encore au-dessus de son plateau d'argent.
C'était plus qu'il n'en fallait pour prouver à d'Artagnan l'innocence de la nuit du prélat et les bonnes intentions de son réveil.
Le mousquetaire fit précisément à l'évêque ce que l'évêque avait fait à Porthos.
Il lui frappa sur l'épaule.
évidemment; Aramis feignait de dormir, car, au lieu de s'éveiller soudain, lui qui avait le sommeil si léger, il se fit réitérer l'avertissement.
-- Ah! ah! c'est vous, dit-il en allongeant les bras. Quelle bonne surprise! Ma foi, le sommeil m'avait fait oublier que j'eusse le bonheur de vous posséder. Quelle heure est-il?
-- Je ne sais, dit d'Artagnan un peu embarrassé. De bonne heure, je crois. Mais, vous le savez, cette diable d'habitude militaire de m'éveiller avec le jour me tient encore.
-- Est-ce que vous voulez déjà que nous sortions, par hasard? demanda Aramis. Il est bien matin, ce me semble.
-- Ce sera comme vous voudrez.
-- Je croyais que nous étions convenus de ne monter à cheval qu'à huit heures.
-- C'est possible; mais, moi, j'avais si grande envie de vous voir, que je me suis dit: ?Le plus t?t sera le meilleur.?
-- Et mes sept heures de sommeil? dit Aramis. Prenez garde, j'avais compté là-dessus, et ce qu'il m'en manquera, il faudra que je le rattrape.
-- Mais il me semble qu'autrefois vous étiez moins dormeur que cela, cher ami; vous aviez le sang alerte et l'on ne vous trouvait jamais au lit.
-- Et c'est justement à cause de ce que vous me dites là que j'aime fort à y demeurer maintenant.
-- Aussi, avouez que ce n'était pas pour dormir que vous m'avez demandé jusqu'à huit heures.
-- J'ai toujours peur que vous ne vous moquiez de moi si je vous dis la vérité.
-- Dites toujours.
-- Eh bien! de six à huit heures, j'ai l'habitude de faire mes dévotions.
-- Vos dévotions?
-- Oui.
-- Je ne croyais pas qu'un évêque e?t des exercices si sévères.
-- Un évêque, cher ami, a plus à donner aux apparences qu'un simple clerc.
-- Mordioux! Aramis, voici un mot qui me réconcilie avec Votre Grandeur. Aux apparences! c'est un mot de mousquetaire, celui-là, à la bonne heure! Vivent les apparences, Aramis!
-- Au lieu de m'en féliciter, pardonnez-le-moi, d'Artagnan. C'est un mot bien mondain que j'ai laissé échapper là.
-- Faut-il donc que je vous quitte?
-- J'ai besoin de recueillement, cher ami.
-- Bon. Je vous laisse; mais à cause de ce pa?en qu'on appelle d'Artagnan, abrégez-les, je vous prie; j'ai soif de votre parole.
-- Eh bien! d'Artagnan, je vous promets que dans une heure et demie...
-- Une heure et demie de dévotions? Ah! mon ami, passez-moi cela au plus juste. Faites-moi le meilleur marché possible.
Aramis se mit à rire.
-- Toujours charmant, toujours jeune, toujours gai, dit-il. Voilà que vous êtes venu dans mon diocèse pour me brouiller avec la grace.
-- Bah!
-- Et vous savez bien que je n'ai jamais résisté à vos entra?nements; vous me co?terez mon salut, d'Artagnan.
D'Artagnan se pin?a les lèvres.
-- Allons, dit-il, je prends le péché sur mon compte, débridez-moi un simple signe de croix de chrétien, débridez-moi un Pater et partons.
-- Chut! dit Aramis, nous ne sommes déjà plus seuls, et j'entends des étrangers qui montent.
-- Eh bien! congédiez-les.
-- Impossible; je leur avais donné rendez-vous hier: c'est le principal du collège des jésuites et le supérieur des dominicains.
-- Votre état-major, soit.
-- Qu'allez-vous faire?
-- Je vais aller réveiller Porthos et attendre dans sa compagnie que vous ayez fini vos conférences.
Aramis ne bougea point, ne sourcilla point, ne précipita ni son geste ni sa parole.
-- Allez, dit-il.
D'Artagnan s'avan?a vers la porte.
-- à propos, vous savez où loge Porthos?
-- Non; mais je vais m'en informer.
-- Prenez le corridor, et ouvrez la deuxième porte à gauche.
-- Merci! au revoir.
Et d'Artagnan s'éloigna dans la direction indiquée par Aramis.
Dix minutes ne s'étaient point écoulées qu'il revint. Il trouva Aramis assis entre le principal du collège des jésuites et le supérieur des dominicains et le principal
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