Le tour de France en aéroplane | Page 3

Henry de Graffigny
prendre un brevet d'invention, mais ce que je sais
bien c'est que tous les appareils que nous venons de voir n'auront qu'un
temps. Penser autrement serait vouloir, à mon avis, nier le progrès, et
vous ne contesterez pas, d'ailleurs, qu'aéroplanes et ballons ont encore
besoin de sérieuses améliorations pour devenir aussi pratiques qu'une
automobile!
Damblin allait répondre, mais le train s'arrêtait en gare de Reims; toutes
les portières des voitures s'ouvraient et les voyageurs se précipitaient
vers les issues.
Les jeunes gens suivirent le flot pressé du public, en se donnant
rendez-vous dans la soirée à l'Universelle. Comme ils doivent jouer un
rôle important dans ce récit, présentons-les l'un après l'autre au lecteur.

Robert de La Tour-Miranne était fils unique du duc de La
Tour-Miranne, l'un des derniers représentants de la vieille noblesse de
France. Passionné des sports, il les pratiquait tous indistinctement, et
les exercices athlétiques n'avaient plus de secrets pour lui. Il eût pu se
mesurer, sans forfanterie, à l'escrime avec Mérignac ou le chevalier
Pini, à la course pédestre avec Cibot ou Orphée, à bicyclette avec
Guignard ou Friol, à la nage avec Jarvis ou Ooms, au golf, au tennis, au
polo, au foot-ball avec les joueurs les plus réputés, mais toutefois sa
prédilection allait plutôt vers les sports de la locomotion. Il avait déjà
mis à mal une bonne douzaine d'automobiles de toutes formes depuis
que l'auto existait, et il ne possédait pas moins de quatre embarcations
de différents tonnages: un yacht gréé en clipper et un racer à pétrole
pour la navigation de plaisance sur les rivières et canaux de France, un
cruiser et un yacht à vapeur de 150 tonneaux, l'un pour les croisières le
long des côtes, l'autre pour les voyages au long cours. Enfin, depuis que
l'aérostation était revenue de mode et qu'il était de bon ton de
pérégriner à travers l'atmosphère, Robert de La Tour-Miranne s'était
fait construire deux ballons sphériques, l'un de 450, l'autre de 1650
mètres cubes, par l'ingénieur aéronaute Fruscou. Il avait exécuté avec
ces aérostats une douzaine d'ascensions qui l'avaient enthousiasmé,
aussi ne rêvait-il plus désormais que de pouvoir évoluer en toute liberté
au sein de l'élément mobile, et c'est pourquoi il suivait avec un intérêt
passionné les premières manifestations du nouveau sport: le vol aérien.
Comme conséquence directe de ces goûts, que la fortune du duc son
père lui permettait heureusement de satisfaire, Robert était membre de
toutes les Sociétés possibles: l'Automobile-Club, le Yacht-Club, le
Touring-Club, le Swimming-Club, l'Aéro-Club, le Jockey-Club, l'Union
des Sports Athlétiques, etc., etc.
Au physique, le marquis de La Tour-Miranne était un fort gaillard de
vingt-six ans, à la musculature développée par la pratique continuelle
des exercices physiques. Sans être ce que l'on appelle un Antinoüs, il
avait les traits fins et réguliers, la moustache blonde et soyeuse, les
cheveux coupés en brosse, ce qui le faisait ressembler à quelque
lieutenant de cavalerie en congé, bien qu'il n'eût pas dépassé, au 19e
hussards, le grade de sous-officier. Au moral, un excellent garçon,
peut-être un peu autoritaire, mais néanmoins franc et serviable, sans

morgue aucune et toujours prêt à obliger le prochain. Aussi comptait-il
nombre d'amis dans son monde, au premier rang desquels il convenait
de placer son ami de collège Jean Outremécourt, et René de
Médouville.
La fortune des Outremécourt était loin d'être équivalente à celle des La
Tour-Miranne, d'autant que la famille était plus nombreuse. Le vicomte,
ami de Robert, n'avait pas moins de quatre soeurs, dont la plus âgée
avait dix-neuf ans. Les deux jeunes gens s'étaient connus dans le grand
établissement d'enseignement où ils avaient reçu l'instruction, et ils
étaient devenus vite une paire de camarades, bien qu'ils fussent
dissemblables de tout point. Autant Robert était vif, pétulant, bruyant et
entraînant, autant Jean était réfléchi, calme et pondéré, même dans les
amusements et les jeux de l'adolescence. Ses condisciples l'avaient
surnommé le Père Tranquille, en raison de sa placidité habituelle. De
retour du régiment, Jean Outremécourt était resté le meilleur camarade
de Robert, qu'il avait accompagné dans plusieurs croisières à bord de
son yacht Lusignan, et, entre-temps, il avait suivi les cours de la
Faculté des Sciences comme auditeur libre, car il s'intéressait fort au
mouvement scientifique de l'époque.
René de Médouville, l'aîné des trois amis, avait vingt-huit ans. C'était
un bon garçon, un peu hurluberlu, et qui se posait volontiers en Petit
Manteau Bleu des inventeurs incompris, qu'il ne craignait pas d'aller
encourager dans leurs mansardes et aidait de sa bourse sans compter.
Médouville se croyait lui-même un inventeur de génie, et il
communiquait sans hésiter de mirifiques mais impraticables idées à ses
protégés, afin qu'ils améliorassent leurs créations. Avec un pareil
caractère, il était surprenant qu'il ne se fût pas encore ruiné, car plus
d'un aigrefin l'avait exploité sans vergogne. Les inventions nouvelles
qu'il voulait mettre à jour ou
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