Le socialisme en danger | Page 8

Ferdinand Domela Nieuwenhuis

nécessaire l'adoption de la proposition Oertel (dans laquelle ils
déclaraient expressément ne rien voir de personnel)? Ils acceptèrent le
retrait de la proposition et personne ne la reprit pour son compte! On
n'osait pas s'en prendre à Vollmar. Avec les «Jeunes» c'était moins

risqué. Et l'on barrait à droite. Jusqu'ici nous n'avons pas encore appris
que Liebknecht soit passé aux «Jeunes», et cependant la proposition
Oertel n'a pas été votée. On est donc juste aussi avancé qu'avant! Reste
à savoir si les événements donneront raison à Auerbach, quand il dit:
«Je crains que Liebknecht, lui-même l'a dit, passe peut-être, dans un ou
deux ans d'ici, à l'opposition de Berlin, si le Congrès n'accepte pas la
résolution Oertel». Nous craignons le contraire, car une fois sur cette
pente, on glisse rapidement. La tactique de Vollmar est désirée par un
trop grand nombre de socialistes allemands, pour qu'elle n'ait pas
chance de triompher.
On peut même se demander si la proposition Oertel n'eût pas été rejetée,
et si celui-ci ne l'a pas retirée de crainte qu'elle ne constituât un danger
pour Bebel. Son rejet eût été la condamnation de la politique de la
fraction socialiste du Reichstag. L'opposition a déjà eu son utilité, car
qui sait ce qui se serait passé sans elle. Involontairement elle a même
arrêté l'élément parlementaire dans une voie où sans doute celui-ci
serait allé bien plus loin! Indirectement elle a déjà obtenu de bons
résultats, car à présent, se sachant constamment observés, les
parlementaires se garderont bien de trop incliner à droite.
Il faudrait pourtant voir dans l'avenir si elle n'ira pas, poussée par la
fatalité, de plus en plus dans cette direction et observer en même temps
l'attitude de ceux qui, cette fois-ci, sont sortis encore en vainqueurs de
la lutte, mais au prix d'une concession à Vollmar, lequel a pu partir
content. Car ce n'est pas lui qui est allé, ne fût-ce que d'un pas, à gauche,
mais ce sont ses «adversaires» qui sont allés à droite, à sa rencontre.
Pour l'impartial lecteur du compte-rendu du Congrès, c'est là la
moralité qui s'en dégage le plus clairement.
Envisageons à présent quelle a été l'attitude envers les «Jeunes», envers
«l'opposition berlinoise». D'après l'impression que les débats firent sur
nous, celle-ci était jugée avant le commencement de la discussion.
Avec eux il n'y avait pas à user de tant de considération, car on était sûr
de son affaire. Singer déclarait très judicieusement: «Les points de vue
de Vollmar sont beaucoup plus dangereux pour le parti que les opinions
des «Jeunes» et de leurs porte-parole.» Cela se voit fréquemment; la
droite est toujours considérée comme plus dangereuse que la gauche, et
en effet l'humanité a eu plus à souffrir à travers les âges par les
virements à droite que par ceux à gauche.

Pour défendre la thèse par lui développée, concernant une des questions
capitales: _le parlementarisme_, Wildberger, un des orateurs de
l'opposition, s'appuya principalement sur une brochure de Liebknecht,
publiée en 1869. La préface d'une réédition de cet opuscule, nous
apprend en 1874, que Liebknecht, après ces cinq années, et depuis la
création du Reichstag, avait conservé les mêmes opinions. Il y dit entre
autres: «Je n'ai rien à rétracter, rien à atténuer, surtout en ce qui
concerne ma critique du parlementarisme bismarckien, lequel, dans le
Reichstag allemand, ne se manifeste pas avec moins de morgue que
jadis dans le Reichstag de l'Allemagne du Nord.» Il disait bien, au
Congrès de Halle (1890), qu'il avait jadis condamné le parlementarisme,
mais, ajoutait-il, «en ce temps-là, les conditions politiques étaient tout
autres: la fédération de l'Allemagne du Nord était un avortement et il
n'y avait pas encore d'empire allemand;» cependant, la préface de son
livre de 1874 est en contradiction avec ce raisonnement. Ensuite
Liebknecht veut faire croire qu'il ne s'agit point ici d'une question de
_principe_, mais d'une question de _pratique_, et dans les questions de
pratique il est particulièrement libéral; car il se déclare prêt à changer
également de tactique dans l'avenir, si les circonstances l'exigent. On
n'a donc plus qu'à ranger une question quelconque sous la rubrique:
_tactique_, pour pouvoir en tout temps changer d'opinion! Il est du
reste notoire que Liebknecht, professait, il y a peu de temps,
exactement les mêmes opinions quant au parlementarisme, que les
«Jeunes» de Berlin défendent à présent.
Au Congrès de Gotha, en 1876, il disait: «Si la démocratie socialiste
prend part à cette comédie, elle deviendra un parti socialiste officieux.
Mais elle ne prendra pas part à un jeu de comédie quelconque».
Aurait-il cru, à cette époque, qu'un jour viendrait où on l'accuserait
d'avoir lui-même joué cette comédie? Et Bebel ne s'est-il pas également
prononcé contre la tactique actuelle, lorsque, au Congrès de Saint-Gall,
il déclarait ne pas regretter le petit nombre des députés élus,
car--disait-il--s'il y en avait eu plus,
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