Le sergent Renaud | Page 4

Pierre Sales
des entre-deux de valenciennes. Puis, sur une
mignonne forme de carton, elle posait son ouvrage, l'arrondissait et y
ajoutait des ruches de dentelle, avec de petites bouffettes de ruban
blanc, très étroit.
--Que fais-tu donc, petite?
--Un bonnet, maman Renaud.
Et, pour le garnir, elle cherchait fiévreusement dans ses provisions; elle
ne trouvait rien d'assez beau.
--Qu'est-ce que c'est que ce bonnet?

--C'est un bonnet, maman Renaud.
Un sourire d'une exquise douceur se répandait peu à peu sur son visage,
effaçant les traces des larmes qu'elle avait versées. Elle travailla toute la
soirée, et elle souriait toujours. Par moment, elle élevait le bonnet sur
son poing, le tendait à sa grand'mère.
--Comment le trouves-tu?
--Bien joli; tu n'as jamais rien fait d'aussi délicat. C'est un modèle?
--Oui... un modèle! maman...
Et elle avait un air bien mélancolique en disant cela; maman Renaud
était très intriguée. Le bonnet fut achevé à minuit.
--Enfin, s'écria la grand'mère, me diras-tu pour qui tu fais ce bonnet?
--Oui, maman Renaud.
--Eh bien?... Pour qui?
--Pour mon enfant, grand'mère!
Maman Renaud se redressa toute blême. Et sa première pensée fut une
imprécation contre Jean Berthier.
--Oh! le lâche!... le misérable!...
--Oh! Maman, maman! s'écria Marie, suppliante. Prends garde! Ne
maudis pas le père de mon enfant!

II
DEUX AMIS
Dans cette même journée,--c'est-à-dire le 22 avril 1864,--tous les
habitués du bois de Boulogne, tous les cavaliers qui, chaque matin,

parcourent avec une régularité désespérante, l'allée des Poteaux, tous
ces indifférents qui se connaissent entre eux, au moins de vue, tous les
élégants en un mot, avaient remarqué l'allure morne, abattue, du jeune
marquis de Villepreux. Il revenait lentement de sa promenade
quotidienne, dirigeant son cheval d'une façon presque machinale, et
répondant d'un geste distrait aux personnes qui le saluaient.
--Qu'a donc Villepreux ce matin?
Cette phrase avait couru de bouche en bouche, comme toutes ces
petites nouvelles qui naissent le matin dans le monde élégant et, la
plupart du temps, sont oubliées le soir.
En rappelant leurs souvenirs, les jeunes gens qui s'honoraient d'être les
amis de Jean de Villepreux pouvaient affirmer que cette mélancolie
remontait à quelques semaines; mais cela ne les avait jamais frappés
comme dans cette matinée. Et les mauvaises langues ajoutaient:
--Il ne se prépare pas à entrer gaiement dans le mariage!
Car on savait, par des indiscrétions, comme tout se sait, dans la vie
parisienne, que sa mère préparait pour lui une très brillante alliance.
Lorsque, vers midi, le marquis arriva devant son cercle--qui était
naturellement celui de l'Union,--il fut étonné de trouver son valet de
chambre, au lieu de son groom, auquel il avait donné l'ordre de venir
prendre son cheval.
[Illustration: Il revenait lentement de sa promenade quotidienne,
dirigeant son cheval... (Page 11.)]
--Monsieur le marquis m'excusera, dit le domestique, en tenant le
cheval tandis que son maître descendait; mais il est arrivé, après le
départ de monsieur, une lettre d'Angoville, avec la mention: très pressé.
Ces mots: «Une lettre d'Angoville», firent pâlir légèrement le marquis.
--Vous avez bien fait, dit-il. Donnez.

Il regarda vivement la suscription de la lettre, reconnut l'écriture de sa
mère et murmura: «Déjà?»
Puis, sans ouvrir la lettre, il demanda:
--Est-ce tout?
--Non, monsieur le marquis. M. Florimont, le notaire, a envoyé son
premier clerc dire à monsieur le marquis que l'acte était préparé, et qu'il
viendrait lui-même aujourd'hui à l'hôtel, vers quatre heures, à moins
que monsieur ne?...
--Non. Cela me convient.
--Monsieur déjeune au cercle?
--Oui, et je rentrerai vers trois heures.
Tandis que le marquis de Villepreux pénétrait dans son cercle, le
domestique, Polydore Guépin, l'examina d'un oeil sournois et ironique.
L'expression correcte et respectueuse avait bien vite disparu de son
visage.
Une minute après, il s'éloignait en prononçant:
--V'la le grabuge qui se prépare dans la famille. Tenons-nous bien!
[Illustration: Arracher mon amour de mon coeur? fit Villepreux. (Page
19.)]
Cependant, le marquis de Villepreux avait gagné un salon retiré de son
cercle. Et il tenait la lettre de sa mère devant ses yeux, hésitant à
l'ouvrir. Il fit enfin sauter le cachet; et, après l'avoir parcourue:
--Pauvre mère, murmura-t-il lentement: quelle peine je vais lui causer!
Jean d'Angoville, marquis de Villepreux, avait à cette époque une
trentaine d'années. D'une très haute taille, mince, élégant, il inspirait,
par son visage mâle et régulier, autant de sympathie que d'admiration.

Il était très brun et portait la moustache et la barbiche comme un
officier; son nez droit, fin, aux narines délicates, flexibles, annonçait
une rare énergie. Malgré la mode absurde des élégants de l'Empire, il
avait les cheveux coupés drus, découvrant son front large, un peu
bombé; ses lèvres, au sourire doux, tranchaient adorablement sur son
teint mat, et tout son visage semblait éclairé par ses yeux profonds,
brillants, comme ces diamants noirs qu'on tire du Brésil.
Le marquis de Villepreux possédait toutes les
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