Le sergent Renaud | Page 8

Pierre Sales
si grande!... Peut-être ton bonheur s'accomplira-t-il? Je ne te demande qu'une chose, que ma conscience m'impose: je veux voir ta fiancée!
--Tu la conna?tras ce soir, dit simplement Villepreux.
En ce moment, un domestique du cercle vint prévenir le marquis que son ma?tre d'escrime l'attendait, dans la salle d'armes, pour lui donner sa le?on habituelle.
Brettecourt proposa aussit?t:
--Ah! mais non! Laisse ta le?on et faisons tous les deux un bon assaut d'épée, comme autrefois; cela me déliera.--Mon plastron et mon masque sont toujours là?
--Oui, monsieur le comte, répondit le domestique; je n'ai qu'à en faire enlever la poussière.

IV
L'ACCIDENT
Quoique à cette époque l'escrime ne f?t pas un sport à la mode, comme elle l'est devenue de nos jours, le cercle de l'Union possédait une ravissante salle d'armes, où le vieux ma?tre Grandier apprenait aux jeunes hommes du Faubourg le noble jeu de l'épée. Décorée avec simplicité, mais dans un go?t parfait, ornée de quelques peintures et de vieilles armes, elle rappelait ces salles basses des chateaux d'autrefois, où les écuyers montraient aux pages l'art de la guerre. Tout un panneau était garni par une panoplie représentant l'histoire de l'épée, depuis l'?espadon? à deux tranchants de nos a?eux jusqu'aux mignonnes épées de combat modernes, en passant par les ?rapières? des favoris d'Henri III et les ?carlets? des élégants de la cour de Louis XV. Il y avait même des pièces historiques, telles que ce ?flamard? d'un a?eul des Villepreux, contemporain de Louis XI, qui, pour faire sa cour au roi, avait, comme lui, fait graver un Ave Maria de chaque c?té de son épée; il y avait aussi de ces épées courtes, bien pointues, avec lesquelles les Fran?ais triomphèrent à Bouvines des longues et lourdes épées allemandes.
Les deux amis furent accueillis, avec une familiarité respectueuse, par le vieux ma?tre d'armes Grandier. Et Henri lui dit gaiement, en lui tendant la main;
--Savez-vous bien, Grandier, que c'est votre fameux ?coupé? qui, dans notre dernière rencontre avec les Arabes, m'a sauvé la vie?
Grandier, naturellement assez rouge, devint brique et balbutia quelques mots sur le courage bien connu de M. de Brettecourt; mais rien ne pouvait lui faire plus de plaisir qu'un tel compliment. Déjà, les deux amis se préparaient pour l'assaut, enlevaient leurs vêtements, mettaient leur plastron, leurs sandales, leur masque, et essayaient leur épées tout en s'alignant sur la planche. Tandis qu'ils tataient le fer, Grandier les contemplait: et, avec leur plastron qui rappelle la cuirasse et le masque semblable au heaume, il lui semblait voir jouter des chevaliers. Brettecourt avait un jeu terrible, rendu brutal par l'habitude des combats. Villepreux, avec sa parfaite élégance, sa correction impeccable, était un adversaire tout aussi dangereux. Grandier, qui aimait les vieux récits, leur dit:
--Jadis, à la fin des tournois, il arrivait qu'on donnat pour récompense une épée au meilleur assaillant et un heaume au meilleur défendant; il faudrait vous donner à tous deux l'épée et le heaume.
Puis, il s'éloigna pour donner une le?on à un autre élève; mais de temps en temps il se retournait et regardait ces deux-là, ses meilleurs. Bient?t, Villepreux et Brettecourt s'arrêtèrent et, se pla?ant dans l'encoignure d'une fenêtre, reprirent leur conversation. Jean éprouvait un bonheur infini à pouvoir enfin parler de sa chère fiancée, lui qui depuis si longtemps était forcé de garder le secret de son amour!
Puis, se remettant sur la planche, il proposa:
--Encore un ou deux coups! Voyons si tu me boutonneras aussi facilement que tes Arabes?
L'assaut recommen?a; et, durant quelques minutes, aucun des deux amis ne put toucher l'autre. Ils s'animaient peu à peu, tout à ce plaisir des armes qu'éprouvent avec tant de passion les fanatiques de l'épée. Grandier, de temps en temps, leur donnait un conseil, s'amusant à critiquer Brettecourt qui, à mesure que l'assaut s'avan?ait, devenait plus nerveux, bondissait, lan?ait son arme d'une fa?on saccadée. Villepreux, beaucoup plus calme, parvint à le toucher deux fois. Ils se reposèrent encore.
--Mais tu vas me donner ma revanche, dit en riant Brettecourt.
--Sais-tu que tu m'attaques comme si j'étais un Arabe?
--Eh! parbleu, je vais te faire le coup qui m'a débarrassé de mon dernier Bédouin.
[Illustration: Déjà les deux amis se préparaient pour l'assaut. (Page 22.)]
Ils retombèrent en garde. Des membres du cercle étaient venus les regarder. Brettecourt, cherchant effectivement à refaire ce qu'il appelait le coup de son Bédouin, s'amusait à ne plus viser qu'à la tête; et Villepreux, négligeant presque de l'attaquer, défendait sa tête d'un jeu si serré que son ami n'avait pas encore pu l'atteindre.
Au bout d'un instant, Brettecourt eut l'air de vouloir rompre; Villepreux l'attaqua à son tour, le pressant avec vigueur. Le jeune officier semblait haletant; mais, soudain, reprenant l'offensive, il se précipita sur Villepreux, ?quitta le fer? de son ami, puis, le battant aussit?t d'un mouvement sec, l'écarta et, allongeant le bras avec une rapidité foudroyante, lui porta un coup furieux à la tête... En ce
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