qui mangeant un morceau sur le pouce, tous en gens pressés, se sachant
n'avoir que bien juste le temps de satisfaire faim ou soif, s'ils ne voulaient pas, par un
retard, manquer le but qui les avait attirés en ville. Puis ils repartaient pour laisser la place
à d'autres qui, tout aussi hâtifs, ne faisaient pas longue pause et décampaient bientôt à
leur tour.
Rien n'était donc plus étrangement curieux que cette auberge du Bon-Repos qui, quand le
dernier des cabarets recevait les clients plus drus que mouches, restait vide et dédaigné.
Chacun de ces milliers d'arrivants en ville, à son passage devant la maison, levait les yeux
vers l'enseigne, échangeait quelques mots avec son voisin et filait sans se laisser tenter
par la bonne apparence de l'hôtellerie, qui promettait vin frais et agréable pitance.
Cependant les trois cavaliers s'étaient avancés en ville et, déjà, avaient dépassé plusieurs
auberges. Soit que, du premier coup d'oeil, il eût compris qu'en ces endroits il n'y avait
pas place pour lui et les siens, soit qu'il eût décidé du logis où il quitterait l'étrier, celui
qui semblait être le chef avait poursuivi sa route.
Quand il arriva devant le Bon-Repos, il se retourna en selle vers ses compagnons, et,
d'une voix rieuse:
--Pardieu! dit-il, voici un coin où nous ne risquons pas d'être étouffés.
Et il donna aux autres l'exemple de mettre pied à terre.
Tout aussitôt que les passants avaient vu les trois hommes se disposer à descendre de
selle, il s'était formé autour d'eux un groupe de curieux à la face étonnée.
--Est-ce que tu vas entrer là, citoyen? demanda un questionneur avec un accent qui
paraissait signaler un danger.
--Dame! fit gaîment le chef, il me semble que les portes sont assez grandes ouvertes pour
que je me passe cette fantaisie.
--Mais tu ne sais donc pas quelle est cette maison? insista le questionneur.
--Une auberge comme l'annonce son enseigne.
--Oui, mais n'as-tu pas lu le nom écrit sur cette enseigne? appuya le curieux.
Le cavalier leva les yeux vers la plaque de tôle, lut le nom inscrit, puis abaissant sur celui
qui l'interrogeait un regard qui demandait de plus amples explications:
--Doublet, dit-il. Eh bien, après?
À cette demande, qui attestait une profonde ignorance, il y eut un murmure de surprise
dans le groupe qui s'était massé plus nombreux.
--Il ne connaît pas Doublet! Il n'a jamais entendu parler de ce gueux! bandit! chenapan!
gredin! brigand! se disait-on en entassant les plus mauvais qualificatifs sur le nommé
Doublet.
--Ah çà! citoyen, tu n'es donc pas du pays? demanda un autre curieux.
--Non.
--Alors, tu ne sais rien du motif qui fait accourir aujourd'hui tant de monde à Chartres?
--Rien de rien. J'ai pensé que ce devait être le jour de l'un des deux grands marchés de
l'année.
--Ah! il est joli le marché d'aujourd'hui! fit le curieux en éclatant d'un gros rire, auquel
tout le groupe fit chorus.
--Si ce n'est pour un marché, ce doit être alors pour une fête qu'on accourt en ville, car
vous me paraissez être tous de joyeuse humeur, reprit le cavalier.
--Oh! oui, une fête, une vraie fête pour le pays chartrain qui est enfin délivré, dit une
voix.
--Grâce au brave Vasseur, ajouta une autre voix.
Et immédiatement tout le groupe hurla:
--Vive Vasseur! vive Vasseur!
Ces cris de reconnaissance une fois calmés, le curieux qui, le premier, avait pris la parole,
se mit en devoir d'expliquer au cavalier pourquoi il ne fallait pas entrer au Bon-Repos et
quel genre de fête le pays chartrain devait à ce brave Vasseur. Il ouvrait la bouche pour
débuter dans son récit, quand, tout à coup, une horloge du voisinage tinta deux coups qui,
presque aussitôt, furent suivis d'un lointain roulement de tambours.
Celui qui allait conter tressauta à ce bruit.
--C'est l'heure, s'écria-t-il; pourvu que je puisse être bien placé. Du premier au dernier, je
veux tout voir.
Et, sans plus se soucier du cavalier, il prit ses jambes à son cou. Derrière lui, tout le
groupe s'élança sur ses traces. Et de droite, de gauche, sortant des maisons, dévalant des
faubourgs, débouchant des rues latérales, une foule énorme passa à fond de train, se
dirigeant vers le centre de la ville où devait se passer la fête en question.
Était-ce une fête?
Si oui, il faut reconnaître que le principal acteur de cette fête était un bien sinistre
personnage... car c'était le bourreau de Chartres qui, sur la place de la ville, avait à
guillotiner vingt-trois personnes, dont trois femmes.
Dès que le vide se fut fait autour des trois cavaliers qui se préparaient à entrer au
Bon-Repos, celui qui semblait commander passa la bride de sa monture à un de ses
hommes en disant:
--Je vais aller les voir faire le saut. Reposez-vous et
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