Le roman d'un enfant, by Pierre
Loti
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Title: Le roman d'un enfant
Author: Pierre Loti
Release Date: November 9, 2007 [EBook #23423]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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ROMAN D'UN ENFANT ***
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[Note du transcripteur: il n'y a pas un chapitre XXXV.]
LE ROMAN
D'UN ENFANT
PAR
PIERRE LOTI
Dix-neuvième Édition.
PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR ANCIENNE MAISON MICHEL
LÉVY FRÈRES 3, RUE AUBER, 3
1890 Droits de reproduction et de traduction réservés.
À SA MAJESTÉ LA REINE ÉLISABETH DE ROUMANIE
Décembre 188..
Il se fait presque tard dans ma vie, pour que j'entreprenne ce livre:
autour de moi, déjà tombe une sorte de nuit; où trouverai-je à présent
des mots assez frais, des mots assez jeunes?
Je le commencerai demain en mer; au moins essaierai-je d'y mettre ce
qu'il y a eu de meilleur en moi, à une époque où il n'y avait rien de bien
mauvais encore.
Je l'arrêterai de bonne heure, afin que l'amour n'y apparaisse qu'à
l'état de rêve imprécis.
Et, à la souveraine de qui me vient l'idée de l'écrire, je l'offrirai comme
un humble hommage
de mon respect charmé.
PIERRE LOTI.
LE ROMAN D'UN ENFANT
I
C'est avec une sorte de crainte que je touche à l'énigme de mes
impressions du commencement de la vie,--incertain si bien réellement
je les éprouvais moi-même ou si plutôt elles n'étaient pas des
ressouvenus mystérieusement transmis... J'ai comme une hésitation
religieuse à sonder cet abîme...
Au sortir de ma nuit première, mon esprit ne s'est pas éclairé
progressivement, par lueurs graduées; mais par jets de clartés
brusques--qui devaient dilater tout à coup mes yeux d'enfant et
m'immobiliser dans des rêveries attentives--puis qui s'éteignaient, me
replongeant dans l'inconscience absolue des petits animaux qui
viennent de naître, des petites plantes à peine germées.
Au début de l'existence, mon histoire serait simplement celle d'un
enfant très choyé, très tenu, très obéissant et toujours convenable dans
ses petites manières, auquel rien n'arrivait, dans son étroite sphère
ouatée, qui ne fût prévu, et qu'aucun coup n'atteignait qui ne fût amorti
avec une sollicitude tendre.
Aussi voudrais-je ne pas écrire cette histoire qui serait fastidieuse; mais
seulement noter, sans suite ni transitions, des instants qui m'ont frappé
d'une étrange manière,--qui m'ont frappé tellement que je m'en
souviens encore avec une netteté complète, aujourd'hui que j'ai oublié
déjà tant de choses poignantes, et tant de lieux, tant d'aventures, tant de
visages.
J'étais en ce temps-là un peu comme serait une hirondelle, née d'hier,
très haut à l'angle d'un toit, qui commencerait à ouvrir de temps à autre
au bord du nid son petit oeil d'oiseau et s'imaginerait, de là, en
regardant simplement une cour ou une rue, voir les profondeurs du
monde et de l'espace,--les grandes étendues de l'air que plus tard il lui
faudra parcourir. Ainsi, durant ces minutes de clairvoyance,
j'apercevais furtivement toutes sortes d'infinis, dont je possédais déjà
sans doute, dans ma tête, antérieurement à ma propre existence, les
conceptions latentes; puis, refermant malgré moi l'oeil encore trouble
de mon esprit, je retombais pour des jours entiers dans ma tranquille
nuit initiale.
Au début, ma tête toute neuve et encore obscure pourrait aussi être
comparée à un appareil de photographe rempli de glaces sensibilisées.
Sur ces plaques vierges, les objets insuffisamment éclairés ne donnent
rien; tandis que, au contraire, quand tombe sur elles une vive clarté
quelconque, elles se cernent de larges taches claires, où les choses
inconnues du dehors viennent se graver.--Mes premiers souvenirs en
effet sont toujours de plein été lumineux, de midis étincelants,--ou bien
de feux de branches à grandes flammes roses.
II
Comme si c'était d'hier, je me rappelle le soir où, marchant déjà depuis
quelque temps, je découvris tout à coup la vraie manière de sauter et de
courir,--et me grisai jusqu'à tomber, de cette chose délicieusement
nouvelle.
Ce devait être au commencement de mon second hiver, à l'heure triste
où la nuit vient. Dans la salle à manger de ma maison familiale--qui me
paraissait alors un lieu immense--j'étais, depuis un moment sans doute,
engourdi et tranquille sous l'influence de l'obscurité envahissante. Pas
encore de lampe allumée nulle part. Mais, l'heure du dîner approchant,
une bonne vint, qui jeta dans la cheminée, pour ranimer les bûches
endormies, une brassée de menu bois. Alors ce fut un beau feu clair,
subitement une belle flambée joyeuse illuminant tout, et un
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