Le roman dun enfant | Page 4

Pierre Loti
en pr��sence de ces choses nouvelles, ��tait encore moins de l'��tonnement que du ressouvenir; la splendeur des plantes vertes, qui m'enla?ait de si pr��s, je savais qu'elle ��tait partout, jusque dans les profondeurs jamais vues de la campagne; je la sentais autour de moi, triste et immense, d��j�� vaguement connue; elle me faisait peur, mais elle m'attirait cependant,--et, pour rester l�� le plus longtemps possible sans qu'on v?nt me chercher, je me cachais encore davantage, ayant pris sans doute l'expression de figure d'un petit Peau-Rouge dans la joie de ses for��ts retrouv��es.
Mais tout �� coup je m'entendis appeler: ?Pierre! Pierre! mon petit Pierrot!? Et sans r��pondre, je m'aplatis bien vite au ras du sol, sous les herbages et les fines branches fenouill��es des asperges.
Encore: ?Pierre! Pierre!? C'��tait Lucette; je reconnaissais bien sa voix, et m��me, �� son petit ton moqueur, je comprenais qu'elle me voyait dans ma cache verte. Mais je ne la voyais point, moi; j'avais beau regarder de tous les c?t��s: personne!
Avec des ��clats de rire, elle continuait de m'appeler, en se faisant des voix de plus en plus dr?les. O�� donc pouvait-elle bien ��tre?
Ah! l��-bas, en l'air! perch��e sur la fourche d'un arbre tout tordu, qui avait comme des cheveux gris en lichen.
Je me relevai alors, tr��s attrap�� d'avoir ��t�� ainsi d��couvert.
Et en me relevant, j'aper?us au loin, par-dessus le fouillis des plantes agrestes, un coin des vieux murs couronn��s de lierre qui enfermaient le jardin. (Ils ��taient destin��s �� me devenir tr��s familiers plus tard, ces murs-l��; car, pendant mes jeudis de coll��ge, j'y ai pass�� bien des heures, perch��, observant la campagne pastorale et tranquille, et r��vant, au bruit des sauterelles, �� des sites encore plus ensoleill��s de pays lointains.) Et ce jour-l��, leurs pierres grises, disjointes, mang��es de soleil, mouchet��es de lichen, me donn��rent pour la premi��re fois de ma vie l'impression mal d��finie de la v��tust�� des choses; la vague conception des dur��es ant��rieures �� moi-m��me, du temps pass��.
Lucette D***, mon a?n��e de huit ou neuf ans, ��tait d��j�� presque une grande personne �� mes yeux: je ne pouvais pas la conna?tre depuis bien longtemps, mais je la connaissais depuis tout le temps possible. Un peu plus tard, je l'ai aim��e comme une soeur; puis sa mort pr��matur��e a ��t�� un de mes premiers vrais chagrins de petit gar?on.
Et c'est le premier souvenir que je retrouve d'elle, son apparition dans les branches d'un vieux poirier. Encore ne s'est-il fix�� ainsi qu'�� la faveur de ces deux sentiments tout nouveaux auxquels il s'est trouv�� m��l��: l'inqui��tude charm��e devant l'envahissante nature verte et la m��lancolie r��veuse en pr��sence des vieux murs, des choses anciennes, du vieux temps...

IV
Je voudrais essayer de dire maintenant l'impression que la mer m'a caus��e, lors de notre premi��re entrevue,--qui fut un bref et lugubre t��te-��-t��te.
Par exception, celle-ci est une impression cr��pusculaire; on y voyait �� peine, et cependant l'image apparue fut si intense qu'elle se grava d'un seul coup pour jamais. Et j'��prouve encore un frisson r��trospectif, d��s que je concentre mon esprit sur ce souvenir.
J'��tais arriv�� le soir, avec mes parents, dans un village de la c?te saintongeaise, dans une maison de p��cheurs lou��e pour la saison des bains. Je savais que nous ��tions venus l�� pour une chose qui s'appelait la mer, mais je ne l'avais pas encore vue (une ligne de dunes me la cachait, �� cause de ma tr��s petite taille) et j'��tais dans une extr��me impatience de la conna?tre. Apr��s le d?ner donc, �� la tomb��e de la nuit, je m'��chappai seul dehors. L'air vif, apre, sentait je ne sais quoi d'inconnu, et un bruit singulier, �� la fois faible et immense, se faisait derri��re les petites montagnes de sable auxquelles un sentier conduisait.
Tout m'effrayait, ce bout de sentier inconnu, ce cr��puscule tombant d'un ciel couvert, et aussi la solitude de ce coin de village... Cependant, arm�� d'une de ces grandes r��solutions subites, comme les b��b��s les plus timides en prennent quelquefois, je partis d'un pas ferme...
Puis, tout �� coup, je m'arr��tai glac��, frissonnant de peur. Devant moi, quelque chose apparaissait, quelque chose de sombre et de bruissant qui avait surgi de tous les c?t��s en m��me temps et qui semblait ne pas finir; une ��tendue en mouvement qui me donnait le vertige mortel... ��videmment c'��tait ?a; pas une minute d'h��sitation, ni m��me d'��tonnement que ce f?t ainsi, non, rien que de l'��pouvante; je reconnaissais et je tremblais. C'��tait d'un vert obscur presque noir; ?a semblait instable, perfide, engloutissant; ?a remuait et ?a se d��menait partout �� la fois, avec un air de m��chancet�� sinistre. Au-dessus, s'��tendait un ciel tout d'une pi��ce, d'un gris fonc��, comme un manteau lourd.
Tr��s loin, tr��s loin seulement, �� d'inappr��ciables profondeurs d'horizon, on apercevait une d��chirure, un jour entre le ciel et les eaux, une longue fente vide, d'une claire paleur
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 65
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.