un instant à
contempler ces images et cherche à pénétrer dans le jardin. Il ne trouve
qu'une petite porte basse et bien fermée, à laquelle il frappe. Une gente
damoiselle, _Oyseuse_, vient lui ouvrir. Ce jardin est le séjour de
_Déduit_. Là dansaient et jouaient _Déduit, Liesse, Dieu d'Amours,
Beauté, Richesse, Largesse, Franchise, Courtoisie, Oyseuse_ et
_Jeunesse_.
L'_Amant_ ébloui contemple ce tableau riant, lorsque _Courtoisie_
vient le chercher et l'engage à la karole. Il accepte, choisit la belle
_Oyseuse_ pour sa danseuse et prend part à la ronde.
GLOSE.
_Déduit_ ou Plaisir d'Amour, c'est la personnification des jouissances
amoureuses, le bonheur de la vie. Son jardin enchanté n'est réservé qu'à
un petit nombre d'élus; car pour y entrer, c'est-à-dire pour goûter
dignement toutes les jouissances de l'amour, il faut être _gai, aimant,
beau, riche, généreux, franc, courtois, jeune_ et _désoeuvré_. Nul, par
contre, n'y saurait [p. XXXIV] pénétrer s'il est _haineux, félon, vilain,
convoiteux, avare, envieux, triste, vieux_ ou _misérable_. Ceux-là ne
savent pas ce que c'est que d'aimer, et personne non plus ne les aime.
Le _désoeuvrement_ nous ouvre la porte, c'est-à-dire nous pousse au
plaisir, et, comme vous le verrez, pour goûter réellement l'amour, il faut
avoir beaucoup de temps à soi. Quand l'_Amant_ dit qu'il choisit
_Oyseuse_ pour sa danseuse, il fait comprendre qu'il se jeta dans les
plaisirs tout d'abord pour y chercher simplement des distractions. Enfin,
comme la femme est avant tout un être aimable et _courtois_, nous
nous sentons irrésistiblement attirés vers elle.
Voilà donc notre _Amant_ emporté dans le tourbillon des plaisirs.
CHAPITRES X A XII.
Les danses terminées, chacun se disperse pour goûter le repos sous les
frais ombrages. L'_Amant_, une fois calmé, s'y enfonce et arrive près
d'une splendide fontaine qui coule dans un beau bassin. C'est la
fontaine de _Narcisse_. Au fond est un miroir magique. Malheur à qui
jette les yeux sur ce fatal miroir! En ce paradis terrestre, tout est
séduisant, et le miroir est si bien disposé qu'il reflète jusqu'au moindre
objet, si modeste et si bien caché qu'il soit. Une inscription est gravée
sur la pierre qui borde le bassin: _Ici le beau Narcisse est mort_. Cette
inscription rappelle à notre _Amant_ la fin terrible du malheureux et
l'épouvante. Son premier mouvement est de s'enfuir; mais il se rassure
et se dit que _Narcisse_ n'était qu'un égoïste et qu'un sot, et que, somme
toute, il se sent assez fort pour ne pas [p. XXXV] tomber dans de
pareils excès. Puis la curiosité, l'envie de connaître le poussant, il y
jette un regard furtif. Mais, hélas! il est aussitôt saisi d'étonnement et
d'admiration. Fascinée, sa vue ne peut plus se détacher du fatal miroir
et surtout d'un magnifique buisson de _Roses_ qui s'y reflète. Il y court
aussitôt; le parfum suave le pénètre jusqu'aux entrailles, et timide,
tremblant d'être blâmé, il n'ose y porter la main, car il craint d'irriter le
maître de ce beau jardin. Heureux, s'écrie-t-il, celui qui pourrait
seulement cueillir une _Rose_, n'importe laquelle, mais je donnerais
tout pour en posséder une couronne! Or, entre toutes, il en choisit une,
la plus belle, un bouton tout fraîchement éclos. Mais las! une épaisse
haie, barrière infranchissable de ronces et d'épines, le sépare de la
_Rose_.
GLOSE.
Le tourbillon des plaisirs enivre l'_Amant_, et pendant quelque temps il
ne songe qu'à voir, admirer et se divertir. Mais, une fois le premier
étourdissement passé, il rentre en lui-même, observe tout ce qui
l'entoure; il veut savoir, il veut tout connaître. A force de voir et
d'admirer, chemin faisant, il arrive à la fontaine de _Narcisse_. Le
miroir magique, ce sont les illusions. La jeunesse ne saurait s'y
soustraire. En vain les conseils, l'instruction, la sagesse et la raison nous
mettent en garde contre elles; tous nous les voulons braver, et tous nous
nous y laissons prendre. Notre _Amant_ y succombe; il jette les yeux
sur le miroir, et le voilà soudain affolé. Ce qui l'attire surtout, au milieu
des splendeurs de la nature, c'est la _Beauté_, ce sont les charmes de la
[p. XXXVI] femme et ce parfum exquis de délicatesse et de sensibilité
qui s'exhale autour d'elle. D'abord il les embrasse toutes dans un amour
sans bornes, toutes il voudrait les posséder; mais il finit par en
remarquer une, la plus belle, et que seule il désire. C'est toujours la
femme aimée qui est la plus belle; puis comme les difficultés ne font
qu'accroître nos ardeurs et que les plaisirs faciles sont ceux qui nous
séduisent le moins, c'est justement la _Rose_ la plus difficile à cueillir
que notre _Amant_ préfère à toutes les autres. Transporté d'admiration,
timide, muet, il se contente d'admirer en silence l'objet tant désiré, il
n'ose lui déclarer ses transports, _de peur du repentir_, car il craint de
l'irriter; et puis, comment vaincre tous
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