DE JEHAN DE MEUNG.
L'_Amant_ désespéré parle de mourir, lorsque _Raison_ revient le
consoler. Il l'éconduit pour la deuxième fois et retourne trouver _Ami_
qui relève son courage et lui indique le chemin pour entrer au château.
Mais ce chemin a nom _Trop-Donner,_ et _Richesse_ le garde, qui en a
chassé _Pauvreté_, et le chasse à son tour. _Dieu-d'Amours_, le
trouvant assez éprouvé, vient alors à son aide. Il lui demande d'abord
s'il n'a point oublié ses commandements. L'_Amant_ les lui récite.
Satisfait, _Dieu d'Amours_ mande aussitôt toute sa baronnie. C'est
assavoir: _Oyseuse, Noblesse de Coeur, Richesse, Franchise, Pitié,
Largesse, Courage, Honneur, Courtoisie, Gaîté, Beauté, Jeunesse,
Bonté, Simplesse, Compagnie, Sûreté, Désir, Déduit, Liesse, Amabilité,
Patience, Bien-Celer, Contrainte-Abstinence_ et _Faux-Semblant_.
Ces deux derniers sont venus, on ne sait pourquoi, et _Dieu d'Amours_
s'en étonne. Mais _Faux-Semblant_ et _Contrainte-Abstinence_ lui
fournissent des explications qui l'engagent à utiliser ces deux
auxiliaires. _Faux-Semblant_ est nommé chef de l'armée, et les barons
délibèrent sur la manière d'attaquer le château. _Faux-Semblant_ et
_Contrainte-Abstinence_, déguisés en pèlerins, vont saluer
_Malebouche_, et pendant qu'il s'agenouille pour se confesser ils lui
sautent à la gorge. _Malebouche_ tire la langue, que _Faux-Semblant_
lui coupe avec un rasoir, puis ils jettent son cadavre dans le fossé. Ils
pénètrent alors dans le château par la porte que gardait _Malebouche_,
aperçoivent les soldats _normands_ ivres dans le corps de garde, les
étranglent et font entrer _Largesse_ et _Courtoisie_.
[p. XXXI] Reste la tour à prendre. Les assaillants cherchent encore à
user de ruse. La _Vieille_, qui garde _Bel-Accueil_, passe à l'ennemi,
revient trouver son prisonnier avec des présents de l'_Amant_, et fait
tous ses efforts pour le corrompre et le séduire. _Bel-Accueil_ résiste
d'abord aux conseils de la _Vieille_ et refuse. Mais elle insiste; il finit
par accepter et consent à recevoir l'_Amant_. Celui-ci arrive aussitôt et
va voir combler tous ses voeux. Mais _Danger_ veille. Aidé de
_Honte_ et _Peur_, il accourt, et tous trois se précipitent sur l'_Amant_.
Ils vont l'étrangler, lorsque l'armée de _Dieu d'Amours_ entend ses cris
de détresse et vient à la rescousse. Une bataille s'engage. Mais la
victoire reste indécise; les pertes sont grandes, surtout dans l'ost
d'_Amour,_ et l'on convient d'une trêve de part et d'autre, tout en
restant chacun dans ses positions. _Amour_ profite du répit, et aussitôt
envoie prévenir _Vénus_ sa mère de sa position critique. _Vénus_
arrive au moment où son fils vient de rompre la trêve et de
recommencer le combat. Mais elle et son fils eussent sans doute
succombé sans l'intervention de _Nature_, qui vient réclamer ses droits.
Désolée, celle-ci court à son prêtre _Génius_, se plaint à lui qu'on lui
fasse tel outrage et l'envoie au secours de l'_Amant. Génius_ arrive,
relève le courage des assaillants et disparaît. L'assaut recommence, et
_Vénus_ incendie la tour de son brandon ardent. Panique générale;
toute la garnison fuit abandonnant la place. _Franchise_ et _Pitié_
conduisent alors l'_Amant _ à _Bel-Accueil_, et celui-ci peut enfin
cueillir la _Rose_.
Avant de passer à l'examen détaillé de tout l'ouvrage, nous ferons
remarquer au lecteur que la partie de Guillaume de Lorris contient
environ 4,500 vers, celle de Jehan de Meung à peu près 19,000.
[p. XXXII] Cette énorme disproportion surprend tout d'abord. Mais en
lisant ce qui va suivre, le lecteur s'expliquera bien vite cette étrange
anomalie. Nous nous dispenserons pour le moment de réflexions sur ce
sujet; elles trouveront naturellement leur place à la fin de ce travail.
ANALYSE DÉTAILLÉE.
PARTIE DE GUILLAUME DE LORRIS.
Cette analyse a pour but de faire bien saisir la pensée de l'auteur, en la
dégageant des mille allégories dans lesquelles il s'est plu a l'envelopper.
CHAPITRE I.
L'_Amant_ s'endort à la fin d'une belle journée de printemps. Il voit en
songe une prairie magnifique, toute couverte de fleurs et de buissons
verdoyants, où mille oiselets chanteurs font entendre leurs cris
d'allégresse. Cette prairie est traversée par une rivière délicieuse, dont
la source est proche, car l'onde est fraîche et pure. L'_Amant_ ravi se
prend à suivre tranquillement la rive.
GLOSE.
Comme nous l'avons dit plus haut, en ce roman tout est allégorique.
Nous ne devons donc pas voir simplement dans ces premières lignes le
commencement d'une aventure que le romancier veut nous raconter.
L'_Amant_ a vingt ans, le printemps pour nous. [p. XXXIII] La grande
plaine, c'est le _Monde_; la rivière, c'est la _Vie_, qui s'épanche à son
début au milieu de la verdure et des fleurs. En un mot, la jeunesse est le
plus beau moment de l'existence. Sans soucis et sans inquiétude,
l'_Amant_ voit couler ses jours.
CHAPITRES II A IX.
Soudain se dresse à ses yeux un jardin immense entouré d'un grand mur
crénelé, sur lequel, en dehors, sont peintes des images repoussantes,
savoir: _Haine, Félonie, Vilenie, Convoitise, Avarice, Envie, Tristesse,
Vieillesse, Papelardie_ et _Pauvreté_. L'_Amant_ s'arrête
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