Le roman de la rose | Page 6

G. de Lorris

vieilles écoles de théologie, les ossements de tous ceux qui étaient
enterrés au cimetière dudit couvent. Le cimetière fut détruit, et le cloître,
le dortoir et le réfectoire furent retranchés pour la clôture de Paris. Dans
le recueil des épitaphes de Paris, fait par D'Hozier, se trouve la suivante:
«Aussi gît au dit couvent (des Jacobins) maître Jehan de Meung, docte
personnage du temps de Louis Hutin, auteur du livre du _Roman de la
Rose_, l'une des premières poésies françoises.» Cette épitaphe, faite
très-longtemps après sa mort, paraît copiée sur la _Chronique
d'Aquitaine,_ et ne peut faire autorité. Au surplus, elle ne prolongerait
la vie de Jehan de Meung que de six ans environ.»
Comme on le voit, les opinions sont bien partagées, autant sur la date
de la mort de Jehan de Meung que sur celle de sa naissance. Toutefois,
nous trouvons dans le texte même de l'ouvrage plusieurs phrases qui
nous permettent de fixer d'une manière à peu près certaine la naissance
des deux poètes et la mort de Guillaume de Lorris.
Tout d'abord celui-ci nous indique son âge dès le début de son roman:
«Il y a bien de cela cinq ans au moins.... Au vingtième an de mon âge.»
Il avait donc vingt-cinq ans passés, et comme Jehan de Meung
lui-même nous déclare avoir entrepris la continuation du roman plus de
quarante ans [p. XXIII] après la mort de Guillaume de Lorris, on peut
donc affirmer que celui-ci est mort à vingt-six ans au moins.
Maintenant essayons d'établir la date exacte où Jehan de Meung
entreprit son ouvrage et son âge approximatif, et nous aurons tranché à
peu près toute la question.
M. Raynouard fait observer que dans la partie de Jehan de Meung, on
trouve des vers qui n'ont pu être écrits, au plus tard, que vers l'an 1280.
Après avoir parlé de Mainfroi, le poète nomme Charles d'Anjou comme
vivant et possédant encore le royaume de Sicile:
Qui par divine porvéance
Est ores de Sesile rois.
Or, Charles d'Anjou mourut en 1285; mais il avait été expulsé de Sicile
quelques années auparavant. En effet, les Vêpres siciliennes sont de
1282.

Donc, si nous admettons que Jehan de Meung ait écrit ces vers avant
1282, comme il reprit l'oeuvre de Guillaume plus de quarante ans après
la mort de celui-ci, on en doit conclure que Guillaume de Lorris mourut
entre 1235 et 1240 et naquit vingt-six ans plus tôt, c'est-à-dire entre
1209 et 1214.
Un peu plus loin nous lisons un passage qui prouve que Jehan de
Meung n'avait pas quarante ans lorsqu'il entreprit de terminer le
_Roman de la Rose_. Le Dieu d'Amours, après avoir parlé de
Guillaume de Lorris qui va mourir, dit de Jehan de Meung:
...Celi qui est à nestre.
Partant de là, nous serons amené à tirer les conséquences suivantes:
Jehan de Meung écrivit le _Roman de la Rose_ avant [p. XXIV] 1282,
et il n'avait pas quarante ans. Or, le passage où il est parlé de Mainfroi
se trouve dès le début de l'oeuvre de Jehan de Meung, qui dut demander
plusieurs années de travail. Nous serons donc fondé à fixer à peu près à
l'année 1275 la date de ces vers. Puis, nous rangeant à l'avis de Fauchet,
Thévet et Méon, que ce livre n'a pu sortir de la plume d'un jeune
homme, mais d'un savant consommé, d'un écrivain de trente à
trente-cinq ans, nous devrons repousser sa naissance à l'année 1240 ou
1245 au moins. Il en résulterait, si nous admettons l'année 1310 comme
date de sa mort, qu'il vécut au moins soixante-cinq ans, et l'année 1322,
soixante-dix-sept ans. Cette date de 1245 n'a rien d'exagéré, mais ne
saurait être rappochée de nous; car, selon Jehan de Meung lui-même, le
_Roman de la Rose_ serait une oeuvre de sa jeunesse. En effet, nous
lisons dans son testament:
J'ai fait en ma jonesce maint diz par vanité
Où maintes gens se sont
pluseurs fois délité.
Quoi qu'il en soit, Jehan de Meung dut couler d'heureux jours dans une
tranquillité profonde, car, malgré la haute considération dont il jouissait
à la cour, si nous en croyons les historiens, il ne se trouva mêlé en rien
aux grands événements qui signalèrent le règne de Philippe-le-Bel.

Il passa presque toute sa vie dans la capitale, où il possédait, dit
Félibien, en 1313, dans l'arrondissement de la paroisse Saint-Benoist,
une maison devant laquelle était un puits.
C'est à peine si la tradition nous a conservé deux anecdotes sur cet
homme distingué, et encore sont-elles sérieusement contestées. Ces
deux anecdotes [p. XXV] sont rapportées par Thévet dans la vie de
Jehan de Meung que nous avons réimprimée à la suite de l'analyse
complète du _Roman de la Rose_.
La première est évidemment controuvée, puisque l'aventure qu'elle
rapporte est tirée d'un livre italien. Elle arriva, non pas à
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 116
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.