noir!
AUGUSTE--Oh! je connais le chemin.
CAYOU--Et puis vous entrerez certainement pas chez M. Jolin à cette
heure-citte. La porte se ferme au soleil couché, et le diable la ferait pas
rouvrir.
AUGUSTE--Eh bien, je serai plus fort que le diable, voilà tout. Allons,
salam alicum! c'est-à-dire god nicht! (Il va pour sortir.)
CAYOU--Eh ben, et vot' dépense?
AUGUSTE--Ah! ah! c'est juste. J'ai vu des pays barbares où le
voyageur entre dans la première case venue, se fait servir ce qu'il y a de
meilleur, et s'en va sans autres formalités. Dans nos pays civilisés, ce
n'est pas la même chose. (Il jette un trente-sous sur la table.) Tenez,
voilà tout ce qui me reste.
CAYOU, furieux--Tout ce qui vous reste! mais c'est à peine la moitié.
AUGUSTE--Vous avez bu l'autre moitié: nous sommes quittes.
CAYOU--Mais vous m'avez invité, million de carafes! Comment? un
homme qui a fait sa fortune quatre fois...
AUGUSTE--Allons donc, my dear, quand je vous disais que j'avais fait
quatre fois ma fortune, il vous était facile de comprendre que je l'avais
perdue au moins trois fois. A mon équipage, la quatrième était
présumable.
JOSEPTE--Je m'en doutais, moi; ç'avait l'air de rien. Ça vient boire le
butin des pauvres gens, et puis, bonsoir la compagnie!
CAYOU--Allons, c'est pas tout ci tout ça. Vous avez bu mon absinthe;
il faut qu'a s'paie! Si y avait de la police au moins pour les vagabonds
comme ça! Allons, vite, vite! payez-moi, guerdin, ou je vous fais
dévorer par mon chien. Pautaud! Ici, Pataud!...
ADRIEN, s'avançant--Monsieur, me permettrez-vous de vous rendre
sans vous connaître un léger service? Si vous le voulez bien,
l'aubergiste portera le surplus de votre dépense à mon compte
personnel.
AUGUSTE--Jeune homme...
ADRIEN--On conçoit qu'un voyageur, en débarquant trop
précipitamment peut-être, ait oublié sa bourse dans ses bagages.
AUGUSTE--Je n'ai ni bourse ni bagages, ni feu ni lieu. Je jette l'or par
les fenêtres quand j'en ai, et j'oublie souvent que je n'en ai pas, comme
ce soir, par exemple. Néanmoins j'accepte votre proposition, jeune
homme. Votre figure m'a frappé tout d'abord. Vous avez une étrange
ressemblance avec... quelqu'un que j'ai connu... Enfin, j'accepte.
Peut-être cette pièce d'argent que vous donnez à un inconnu sera-t-elle
à jamais perdue pour vous; peut-être aussi... Merci donc, et felice notte!
Dieu est grand! (Il sort.)
JOSEPTE--Oui, fiche-moi le camp! Que Dieu nous préserve de
pareilles visites! On serait beutôt mort de faim!
DEUXIÈME TABLEAU
AMOUR D'ENFANCE
(Le théâtre représente une route solitaire dans les bois. Il fait nuit. Au
lever du rideau, Auguste traverse la scène, et Adrien apparaît par le
fond.)
SCÈNE III
AUGUSTE, ADRIEN.
ADRIEN--Monsieur, pardonnez-moi; je suis monté ici par un raccourci,
j'avais besoin de vous parler.
AUGUSTE--Tiens, c'est vous, jeune homme? Tron de Diou, je
n'espérais pas vous revoir si tôt.
ADRIEN--Monsieur, j'ai deviné sous votre modeste costume un
homme bien né qui a connu de meilleurs jours, et cela m'a décidé à
réclamer de vous un service d'un prix inestimable pour moi.
AUGUSTE--Un service? Vous m'en avez rendu un bien mince pour
demander si vite du retour. Écoutez, mon camarade, dans le cours de
ma vie, j'ai donné des milliers de louis, à des hommes que je
connaissais moins encore que vous ne me connaissez, sans exiger d'eux
même un remerciement.
ADRIEN--Monsieur, je ne mérite pas ces duretés.
AUGUSTE--Enfin, que me voulez-vous?
ADRIEN--N'avez-vous pas dit, à l'auberge, que vous alliez chez M.
Jolin?
AUGUSTE--Je l'ai dit.
ADRIEN--Vous avez fait entendre, si je ne me trompe, que vous
pouviez exercer sur lui quelque influence.
AUGUSTE--Après?
ADRIEN--C'est qu'alors, monsieur, j'implorerais votre protection pour
une personne bien digne de votre intérêt, pour une jeune fille dont la
position devient intolérable.
AUGUSTE--Eh! eh!... je commence à voir d'où vient le vent, mon
jeune homme. Vous voulez parler de cette demoiselle que Jolin a
recueillie... En effet, on a fait allusion à une petite amourette, je crois...
ADRIEN--Une amourette, monsieur? Dites un amour qui ne finira
qu'avec ma vie...
AUGUSTE--Eh! oui, sans doute! Oh! j'ai passé par là, moi aussi... Mais,
mon camarade, il y a donc bien longtemps que cet amour-là dure, pour
être aussi enraciné?
ADRIEN--Oh! il date de l'enfance, monsieur. J'aimais Blanche
Saint-Vallier longtemps avant de le savoir moi-même. J'étais
malheureux chez mes parents; mon père me détestait, et ma mère... me
repoussait souvent en pleurant. Et c'est auprès de Blanche que j'allais
me consoler. Je fis presque seul mon éducation. Ma mère mourut, et cet
événement rompit le dernier lien qui m'attachait à mon père. Je restai
seul au monde. Une maison m'était ouverte, cependant; c'était celle de
Blanche. L'enfant était devenue jeune fille, et je l'aimais à l'adoration à
la folie. Ah! monsieur, vous la verrez... et... Mais je vous ennuie, avec
ces détails puérils...
AUGUSTE--Non, non, continuez, continuez! En vous écoutant, je me
sens rajeunir; mon coeur bat
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