Le renard | Page 3

Johann Wolfgang von Goethe
saura bien mieux se
défendre; en attendant, très-gracieux roi et noble souverain, j'oserai
faire une remarque: vous avez entendu, et ces seigneurs aussi, de quelle
manière insensée Isengrin a parlé de sa femme et de son déshonneur,
qu'il devrait protéger au prix de ses jours. Il y a sept années révolues,
mon oncle a donné son amour à la belle Girmonde; c'était à la danse,
par une belle nuit d'été; Isengrin était en voyage. Je le raconte comme
je le sais. Amicalement et poliment elle a été mise plus d'une fois à sa

disposition, et qu'y a-t-il à ajouter? Elle ne s'en est jamais plainte: elle
s'en trouve même très-bien: mais lui, quelle figure fait-il? S'il était sage,
il se tairait sur ce chapitre, qui ne peut lui rapporter que de la honte.
Allons plus loin, continua le blaireau: maintenant c'est le conte du
lièvre! pur bavardage! Est-ce que le maître ne doit pas châtier l'écolier
quand il manque d'attention et de mémoire? ne doit-on pas punir les
enfants? et, si on leur passait leur légèreté et leur méchanceté, comment
élèverait-on la jeunesse? Qu'y a-t-il encore? Vackerlos se plaint d'avoir
perdu une andouille, en hiver, derrière un buisson; il ferait bien mieux
de dévorer son chagrin en silence. Car nous venons de l'entendre, elle
était volée: ce qui vient de la flûte retourne au tambour; et qui peut faire
un crime à mon oncle d'avoir pris au voleur un bien volé? Il faut que les
gentilshommes de haute naissance corrigent les voleurs et s'en fassent
craindre. Oui, il l'eût pendu alors, qu'il eut été pardonnable; mais il lui
laissa la liberté par respect pour le roi; car au roi seul appartient le droit
de vie et de mort. Mais mon oncle ne doit compter que sur peu de
reconnaissance, quelle que soit son exactitude à faire le bien et à
s'abstenir du mal. Depuis que la paix du roi a été proclamée, personne
ne l'observe comme lui. Il a changé sa vie, ne mange qu'une fois par
jour, vit comme un ermite, se mortifie, porte une haire sur la peau et se
prive depuis longtemps de viande et de gibier, comme me le racontait
encore hier quelqu'un qui venait de le voir. Il a quitté Malpertuis, son
château fort; il se bâtit un ermitage pour y demeurer. Vous verrez
vous-même comme il est maigre et pâle par suite de l'abstinence, et des
autres pénitences que son repentir lui a imposées. Peu lui importe que
chacun lui jette la pierre. Il n'a qu'à venir, il se défendra et confondra
tous ses accusateurs.»
Lorsque Grimbert eut fini, parut Henning le coq, entouré de toute sa
famille, au grand étonnement de l'assemblée. Sur une bière en deuil,
derrière lui, on portait une poule sans tête. C'était Gratte-Pied la
meilleure des couveuses. Hélas! son sang coulait et c'était Reineke qui
l'avait répandu. Maintenant, il s'agissait de le faire savoir au roi. Le
brave Henning parut donc devant le roi, la douleur peinte dans tout son
être; il était accompagné de deux coqs également en deuil: l'un
s'appelait Kreyant, il n'y avait pas de meilleur coq entre la Hollande et
la France; l'autre ne lui cédait en rien, il avait nom Kantart; c'était un

fier et honnête compagnon; tous deux portaient un cierge allumé;
c'étaient les frères de la victime. Ils appelèrent la vengeance du ciel sur
l'assassin. Deux coqs plus jeunes portaient la bière et l'on entendait de
loin leurs gémissements. Henning prit la parole: «Très-gracieux
seigneur et roi! nous déplorons une perte irréparable. Prenez pitié du
mal qui m'est fait, à moi et à mes enfants. Vous voyez l'oeuvre de
Reineke! Lorsque l'hiver fut passé, que les feuilles et les fleurs nous
invitaient à la joie, je m'enorgueillissais de ma famille, qui passait si
gaiement les beaux jours avec moi; dix jeunes fils et quatorze filles,
tous pleins de vie! ma femme, cette poule excellente, les avait élevés en
un été. Tous étaient forts et contents; ils trouvaient chaque jour leur
nourriture dans une place bien abritée. C'était la cour d'un riche
monastère; un mur élevé nous défendait; et six grands chiens, les
vaillants gardiens de la maison, aimaient mes enfants et protégeaient
leur vie. Mais Reineke le voleur était désolé de nous voir passer, en
paix, d'heureux jours à l'abri de ses ruses. Il rôdait toujours la nuit au
pied du mur et écoutait aux portes; mais les chiens le flairaient et alors
il n'avait qu'à courir! Enfin, une fois ils l'attrapèrent et le houspillèrent
rudement; mais il put s'échapper et nous laissa quelque temps en repos.
Maintenant, écoutez bien! Quelques jours après, le voilà qui arrive en
ermite, et me remet une lettre ornée d'un cachet. Je le reconnus: c'était
votre cachet et je lus dans la lettre que vous aviez ordonné la
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