Le renard | Page 7

Johann Wolfgang von Goethe
assaillirent de tous c?tés l'infortuné Brun. Enfin, le frère de Rustevyl s'avan?a et asséna sur la tête de l'ours un si bon coup de baton, qu'il en fut tout étourdi; pourtant la violence du coup le fit lever. éperdu, il se précipita au milieu des femmes, qui se culbutèrent l'une sur l'autre, en criant. Quelques-unes même tombèrent dans la rivière: l'eau était profonde. Le curé se mit à crier: ?Regardez! voilà madame Yutt la cuisinière qui dispara?t là-bas avec sa pelisse, et sa quenouille est ici! Au secours, mes braves gens! je promets deux tonneaux de vin et indulgence plénière pour récompense à qui la sauvera.? Tous, croyant l'ours mort, se précipitèrent dans l'eau pour sauver les femmes; on en retira cinq au bord. Voyant ses ennemis ainsi occupés, Brun se glissa en rampant dans l'eau; ses atroces douleurs le faisaient hurler; il aimait mieux se noyer que d'être assommé de coups si ignominieux. Il n'avait jamais essayé de nager et il espérait en finir du coup avec la vie. Contre son attente, il se sentit nager et porter sans encombre par le courant. Tous les paysans le virent et s'écrièrent: ?Ce sera pour nous une honte éternelle!? Ils étaient désolés et ils s'en prirent aux femmes: ?Que ne restiez-vous à la maison! Regardez, il nage, il s'en va.? Ils revinrent dans la cour pour revoir le tronc de chêne et ils y trouvèrent encore la peau et les poils de la tête et des pieds; ils en rirent en disant: ?Tu reviendras une autre fois, nous avons les oreilles en gage!? C'est ainsi qu'ils se moquaient de l'ours après lui avoir fait tant de mal, mais il était bien heureux d'en être quitte ainsi. Il maudissait les paysans qui l'avaient battu, se plaignait de la douleur qu'il ressentait aux pieds et aux oreilles; il maudissait Reineke, qui l'avait trahi. C'est dans ces pieuses pensées qu'il nageait, et la rivière, qui était rapide et grande, le porta en peu de temps près d'une lieue plus loin; là, il aborda et se mit à gémir: ?Le soleil a-t-il jamais vu animal plus en détresse!? Et il ne croyait pas pouvoir passer la journée; il pensait mourir sur l'heure, et il s'écriait: ?? Reineke! tra?tre, perfide, créature sans foi!? et il pensait aux coups des paysans, il pensait au tronc de chêne et il maudissait les ruses de Reineke.
Pour le renard, lorsqu'il eut ainsi conduit son oncle à la recherche du miel, il se mit à courir après des poulets dont il connaissait le g?te. Il en attrapa un et s'enfuit en tra?nant son butin au bord de la rivière. Il se mit à le dévorer sans retard, se mit en quête d'autres aventures le long de la rivière, but une gorgée et se dit: ?Que je suis donc content d'être débarrassé de ce lourdaud de Brun! Je parie que Rustevyl l'a régalé de coups de hache! L'ours m'a toujours été hostile, je lui ai rendu la monnaie de sa pièce. Je l'ai toujours appelé mon cher oncle; mais maintenant il est sans doute mort sur son chêne; j'en rirai toute ma vie! à présent, il ne pourra pas se plaindre, ni me nuire.? Et, comme il marchait, il jette les yeux plus bas et aper?oit l'ours, qui se roulait au bord de la rivière. Il fut tout contrit de le voir encore en vie. ?Ah! Rustevyl, s'écria-t-il, misérable paresseux! lourdaud de paysan! c'est ainsi que tu dédaignes une proie aussi grasse et d'aussi bon go?t, que plus d'un gourmand aurait payé bien cher et qu'on l'avait presque mise dans la main! Pourtant l'honnête Brun t'a laissé un gage de sa reconnaissance pour ton hospitalité.? Telles étaient ses pensées, lorsqu'il aper?ut Brun triste, épuisé et sanglant. Enfin, il lui cria: ?Mon cher oncle, est-ce vous que je retrouve? N'avez-vous rien oublié chez Rustevyl? Dites-le moi; je lui ferai savoir où vous avez laissé ce qui vous manque. Sans doute, vous lui avez volé bien du miel; ou bien l'auriez-vous payé? Comment cela s'est-il passé? Eh! seigneur, comme vous voilà arrangé! cela vous donne bien triste mine! Est-ce que le miel n'était pas bon? Il y en a encore à vendre au même prix! Mais dites-moi donc, mon oncle, à quel ordre de religieux vous êtes-vous affilié puisque vous portez maintenant une calotte rouge sur la tête? êtes-vous donc devenu abbé? Le barbier qui a rasé votre tonsure vous a un peu coupé les oreilles; je le vois bien, vous avez perdu le toupet, la peau du visage et vos gants. Où diable les avez-vous laissés?? Telles étaient les railleries que Brun dut entendre coup sur coup et la douleur le rendait muet; il ne savait à quel saint se vouer. Pour ne pas en entendre davantage, il se tra?na jusque dans l'eau
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