plus d'une:
On s'expose pour vaincre, on vainc en
combattant,
Et la guerre & l'amour, veulent qu'on soit constant.
NICANOR.
Mais la guerre & l'amour couronnent la constance.
Et des plus
malheureux font vivre l'esperance.
ELISE.
Mais un coeur genereux, de malheurs combattu,
Pour perdre son
espoir ne perd point sa vertu.
Songez songez plustost à l'Armée
ennemie,
Qui menace Paphos par la Paix endormie;
Songez à nos
remparts en danger d'estre pris,
Et songez qu'il faut vaincre avant
qu'avoir un prix
Tandis que nostre encens brûlera dans nos Temples,
Allez aux Cypriens donner de beaux exemples;
Ils vous tendent les
bras, courez les secourir,
Et pour vous mesme enfin, allez vaincre ou
mourir.
SCENE V.
NICANOR, AMINTAS.
NICANOR.
Deffions-nous, mon fils, de cette ame cachée:
Quand du commun
danger elle paroist touchée,
Et nous porte au combat pour le salut de
tous,
Elle veut seulement se deffaire de nous.
AMINTAS.
Quelque dessein qu'elle ait, cette belle Princesse,
Sa volonté tousiours
de la mienne Maistresse,
Et de mes actions seule, & fatale Loy,
Dispose absolument de moy-mesme sans moy.
Heureux qu'en ce
rencontre elle ne me propose,
Qu'une bonne action, à quoy rien ne
s'oppose,
Et qu'elle ne se sert de son divin pouvoir,
Qu'à porter mon
courage à faire son devoir.
NICANOR.
Qu'aveuglement tu suis une amour insensée!
AMINTAS.
Vous m'en avez Seigneur, inspiré la pensée.
NICANOR.
On change de dessein selon l'utilité.
AMINTAS.
On ne suit pas ainsi l'exacte probité.
NICANOR.
Ha! ne te pique point de ces vertus frivolles,
AMINTAS.
C'est perdre temps, Seigneur, en de vaines parolles,
Tandis que de
Paphos tout le peuple estonné,
Se croit avec raison de nous
abandonné.
Donnons pour son salut les ordres necessaires;
Envoyons des partis observer les Corsaires.
Tandis que vous veillez à
deffendre nos Murs,
Employez ma valeur aux travaux les plus durs.
Rendez-moy digne enfin de ces hautes pensées,
Que vos conseils
hardis dans mon ame ont laissées,
NICANOR.
Allons donc faire encore des ingrats dans Paphos.
SCENE VI.
AMINTAS, CRITON.
AMINTAS.
Prens mes armes, Criton, & deux de mes chevaux,
Sur le bord de la
mer je te joins dans une heure;
Mais ne te lasse point de ma longue
demeure.
Les Princes éclairez, & suivis en tous lieux,
Ont dans
leurs actions à tromper bien des yeux,
Et ce monde empressé qui ne
les quitte guere,
Les rend plus malheureux que ne croit le vulguaire,
Je veux aller combattre Orosmane en son Camp;
Nous sommes peu,
Criton, pour un dessein si grand
CRITON.
Un semblable dessein n'en veut pas davantage.
AMINTAS.
Je voulois éprouver ton sens, & ton courage.
CRITON.
Mon zele?....
AMINTAS.
Il m'est connu, va viste, & sois adroit.
CRITON.
Seigneur....
AMINTAS.
Je la voy bien, va, disje, & soit secret.
SCENE VII.
ALCIONNE, AMINTAS.
ALCIONNE.
Ha Prince! il est donc vray que ma soeur vous engage,
A verser
vostre sang pour venger un outrage,
Et vous expose encore à ce
honteux duel;
A l'incertaine foy d'un Corsaire cruel;
Des charmes
de ses yeux, ceux de son diadême,
Vous jettent donc encore en ce
peril extrême;
AMINTAS.
Que pensez-vous de moy, Madame? ah! jugez mieux
D'un Prince
décendu de vos nobles Ayeux.
Un coeur que la beauté de vostre soeur
inspire,
Fait aller ses desirs plus loin que son Empire,
Et ne fait
point servir sa noble ambition,
A l'avare interest d'une autre passion.
Quand je devins d'Elise esclave volontaire,
Son Trône à m'asservir
luy fut peu necessaire,
Il prit dans ses beaux yeux l'éclat qu'il eut pour
moy, Et son merite seul me rangea sous sa loy.
ALCIONNE.
Devez-vous hazarder des jours comme les vostres,
Quand de vostre
salut depend celuy des autres,
Et quand par vostre mort l'Estat aura
perdu,
L'unique Protecteur qui l'auroit deffendu;
AMINTAS.
Je me connois, Madame, & lors que je m'expose,
Je croy n'exposer
rien, ou du moins peu de chose.
Elise m'apprend trop par d'éternels
mépris,
Que mes jours malheureux ne sont pas de grand prix.
ALCIONNE.
Un injuste mépris n'oste rien du merite,
Or la fiere beauté que vostre
amour irrite,
Peut avoir eu pour vous d'injustes cruautez,
Sans avoir
ignoré ce que vous meritez.
Mais Amant malheureux, vous sçavez
d'elle-mesme,
D'où son coeur a pour vous cette froideur extrême,
Et
que ce coeur fidelle aux cendres d'un Amant,
Vous suscite un Rival
au fond d'un monument,
Tel que Cypre aujourd'huy vous admire, &
vous prise;
Car tout n'est pas dans Cypre injuste autant qu'Elise,
Vous meritez un coeur qui vous sceût estimer,
Un coeur qui pour
vous seul eust commencé d'aimer.
AMINTAS.
Elise rigoureuse, Elise pitoyable,
Elle est toujours Elise, elle est
tousiours aimable,
Et tousiours Amintas méprisé, malheureux,
Sera
tousiours fidelle & toujours amoureux.
ALCIONNE.
Un plus sage que vous en aimeroit une autre,
Qui feroit son bonheur
d'un coeur du prix du votre,
Un autre aussi bien qu'elle a droit de vous
donner;
Le titre qui vous manque à vous voir couronner.
Car enfin
vous seriez. O Dieux! que vay-je dire?
Vous seriez plus heureux, si
vous sçaviez dire.
Adieu Prince.
[Elle sort.]
AMINTAS.
Ha! j'entends, je serois plus heureux,
Se je pouvois forcer un destin
malheureux,
Qui me force d'aimer celle qui me méprise,
Et me fait
mépriser celle qui m'est acquise.
Mais, ô vous! qui m'offrez un
Sceptre, & vostre Foy,
Pourriez-vous bien changer, si vous n'aymiez
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